Il est de bon ton d’expliquer qu’il est bien de pouvoir changer de métier tout au long de sa vie. Oui, mais voila, certains changent de métier parce qu’ils y sont obligés. C’est le cas lorsque l’on est un immigré, qui en France, peut se retrouver à la caisse d’un supermarché ou agent d’entretien alors que dans sa vie précédente, cette même personne exerçait les métiers d’ébéniste, de brodeur ou de couturière. Je me souviens d’avoir rencontré un Afghan lors d’un Pop Up Store des Ateliers de Paris en mai 2021, qui avait du fuir son pays car son histoire personnelle l’avait amené en tant que brodeur à réaliser les décorations des tenues de l’armée américaine. Lorsque celle-ci a quitté l’Afghanistan, cette personne a du fuir devant les talibans.
Ce type de drame et bien d’autres, a été rencontré à de nombreuses reprises par la fondatrice de La Fabrique Nomade Inès Mesmar. Combien de personnes ont ainsi du renier une partie d’elles-mêmes en quittant leur pays ? C’est devant ses situations complexes et violentes qu’est née l’idée de La Fabrique Nomade.
La Fabrique Nomade veut favoriser l’insertion professionnelle par la reconnaissance des savoir-faire du travail manuel
Fondée en janvier 2016, cette association œuvre à valoriser et favoriser l’insertion professionnelle des artisans migrants et réfugiés en France. Des femmes et des hommes passionnés, dotés d’un savoir-faire acquis dans leurs pays d’origine, qui rencontrent en France de nombreux freins à leurs insertions professionnelles en tant qu’artisan. Les barrières socio-linguistique, l’absence de réseaux, la non reconnaissance de leurs qualifications et de leurs expériences, la méconnaissance du marché, rendent difficile la poursuite de leurs métiers. Bien souvent employés dans les secteurs dits en tension (sécurité, nettoyage, restauration, BTP…) ces orientations par défaut conduisent à la rupture du parcours professionnel et à la perte de l’estime de soi…
La Fabrique Nomade défend un nouveau modèle d’intégration, qui prend en compte la personne et son parcours professionnel, en identifiant ses compétences acquises, ainsi que par l’étude des possibilités d’adaptation et de transfert dans le contexte économique et culturel français. Le but de cette association est de permettre aux artisans de reprendre leur métier, trouver leur juste place dans la société et donner surtout un nouveau sens à leur vie après l’exil.
Les savoir-faire, une valeur essentielle pour exprimer l’excellence du travail
C’est ce que veut montrer la nouvelle collection Traits d’Union 6, intitulée L’Onde, thème de cette collection. C’est une invitation au partage, aux énergies positives et aux bonnes vibrations. L’Onde se veut un choc, un retentissement, une vibration puissante, en mouvement et en son, pour faire entendre une nouvelle fois la voix de ces artisans et leur énergie transformatrice qui rend visible l’invisible: leur savoir-faire par l’objet. Une collection de plus en plus collaborative avec l’engagement des Maisons du Groupe LVMH, celui des équipes de Chaumet et de Repossi, de la marque Forweavers, de l’Hôtel Baume et bien évidemment la soutien formidable de Sonia Rolland, la marraine de l’association.
3 designers accompagnent les équipes formées autour d’un projet de création
D’un coté, il y avait 8 artisans: Ahmed, Assad, Hemantha, Fathima, Barry, Fanie, Javad et Saman, originaires d’Afrique et d’Asie, qui se sont prêtés à cette expérience audacieuse et inédite dont ils sont sortis transformés. De l’autre coté il y avait 3 designers qui les ont aidé à définir un projet et les ont accompagné tout au long de la réalisation de ceux-ci : Richard Descours, José Lévy et Matthias Schneider.
Le challenge technique et créatif a conduit ses artisans migrants au dépassement de soi. Les équipes bénéficiaient du plateau de fabrication de 300 m2 installé à Paris dans le 12 ème dans les locaux de La Fabrique Nomade, que l’on peut visiter (1 bis avenue Daumesnil). Il y avait des rendez-vous réguliers, comme me l’a expliqué un des designers, avec des étapes chaque semaine d’1/2 journée pour débriefer de ce qui avait été fait, planifier les prochaines étapes, conforter le travail d’équipe, car toutes les personnes n’avaient pas forcément le même niveau de compétence et remotiver si nécessaire.
La collection Traits d’union 6, mode, bijou, déco, est profondément urbaine et chic par ses lignes souples et sinueuses, aux formes graphiques contemporaines. Elle symbolise le parcours résilient des artisans qui les conduit à l’exercice de leurs métiers en France. Cinq des artisans ont obtenu un emploi à la fin de la formation. Depuis ses débuts, La Fabrique Nomade a accompagné plus de 50 artisans en provenance de 20 pays avec un un taux de succès de 70% dans le retour à l’emploi.
Le lancement de cette collection s’est faite en la présence de Sonia Rolland, marraine de l’association, d’Antoine Arnaud représentant de LVMH, des 3 créateurs qui ont dessiné cette collection : Richard Descours, José Lévy et Matthias Schneider, accompagné par les artisans impliqués qui ont pu prendre la parole.
Le groupe LVMH est partenaire de La Fabrique Nomade depuis 2019. L’entreprise soutien l’association dans l’accompagnement de ses artisans réfugiées dans leur insertion professionnelle en France, grâce notamment au mécénat de compétence et en ouvrant les portes de ses ateliers pour favoriser le partage et les rencontres. Le discours d’Antoine Arnaud était particulièrement centré sur le besoin d’avoir des artisans d’excellence et ne s’est pas gêné pour lancer quelques piques à l’intention de certains métiers plus visibles et on va dire plus dans la hype, les influenceurs étaient cités, alors que des compétences dans la maitrise du travail de la main sont nécessaires encore de nos jours dans beaucoup de métiers.
La ligne de bijoux a été développée avec le designer Mathias Schneider et les 2 bijoutiers Hemantha Kuragamage et Saman Beramaga Acharige. Elle montre des jeux de superposition aux effets cinétiques, des systèmes répétitifs, une interprétation de l’onde par la décomposition de cercles et de formes ovoïdales concentriques.
C’est autour de José Levy que Barry Mamadou Mustapha et Fathima Zuzahir on travaillé sur une ligne d’objets de décoration pour la maison magnifié par le travail de ces brodeurs émérites.
La mode est bien sûr présente avec des modèles homme et femme. La gamme soulignée par des surpiqures claires se compose d’un ensemble masculin en laine et en jersey bleu aux courbes manifestes, d’une chemise femme en toile de coton délicatement montée de textiles précieux. Ils sont conçus en utilisant des tissu existants (dit dormants) issus de maison de luxe partenaire. Ahmed Ly et Assad Noori ont conçu ces modèles avec le soutien de Richard Descours qui après avoir travaillé pour de grandes maisons, va lancer sa propre marque.