Le taxi s’arrêta devant le musée qui posait sa façade majestueuse au bord de la Seine. Ils descendirent rapidement. Cela permis au chauffeur du VTC de redémarrer sans subir les coups de klaxons intempestifs des conducteurs bloqués derrière son véhicule, signaux sonores de cette amabilité parisienne si réputée.
Il la précédait dans l’escalier au tapis rouge qui rendait leur progression silencieuse. Elle s’arrêta au niveau du palier pour admirer la hauteur de ce grand hall d’entrée. Ses yeux clairs regardaient les pilastres et les corniches dorées en haut des murs. Cela faisait vraiment maison de Reine.
Lui était déjà arrivé à l’étage, 2 feuilles à la main qui comportaient ce sésame technologique qui ouvre les portes mieux qu’un passe droit royal, le QRCode.
“ Tu te demandes si on peut fréquenter ce lieu en jean ou si on doit le faire en habit et robe à crinoline ? » lui dit-il amusé
“Cela fait décor de cinéma. On s’attend à voir Lelouch apparaître à cette balustrade » lui répondit elle avec son joli sourire.
Elle avait une voix très douce, qu’il appelait en son fort intérieur “soie et tendresse”, soyeuse comme cette matière satinée et tendre comme la tessiture que prenait souvent sa voix. Une sonorité qui donnait envie de s’enfermer dans une bulle, de fermer les yeux et se laisser bercer par la douce musique sonore de ses paroles.
Le gardien passa son téléphone sur les 2 QRcode et les regarda un peu longuement chacun. Ils purent franchir l’entrée de l’exposition. Curieusement, il n’y avait aucune affiche à l’entrée et la file d’attente était réduite à eux 2.
Elle lui en fit la remarque.
“tu as vu comme il nous a regardé ? en plus, il n’y a personne “
“oui, peut être qu’il voulait savoir si cela valait la peine qu’il se réveille !”
La première salle était intégralement vide. Les murs étaient blancs, le parquet ciré. Les grandes fenêtres offraient la vue sur la Seine à travers les arbres parisiens du quai, qui secouaient leurs feuillages sous l’effet du léger vent d’été ou pour se débarrasser d’une pollution collante.
Ils étaient absolument seuls
Sous cette jolie lumière, ils parlaient doucement. Leurs voix résonnaient dans cette grande pièce vide.
Elle traversa la pièce de sa démarche souple, sans précipitation et entra dans une seconde. L’espace était aussi vide que dans la première. Les murs toujours aussi blancs. Pas un bruit, hormis ceux de leurs pas sur le parquet craquant de ce vieux palais.
Elle revint dans la première ou il était resté, s’approcha de la fenêtre. La Seine baignait sous un vif soleil, offrant une lumière excessive, comme un tableau ou le peintre aurait mis trop de jaune.
“c’est curieux cette exposition, il n’y a aucune oeuvre, c’est intégralement vide. L’art contemporain est quelquefois surprenant, quelquefois vide de sens, mais là, c’est vide tout court. “
Elle le lui dit avec une point d’interrogation dans la voix,
“Attend” lui dit il “viens, il y a encore une pièce”
Il la précéda et l’emmena dans une autre pièce, sorte de boudoir ou les frises étaient de la même couleur que les murs et seules les poignées des portes dorées faisaient diversions.
Soudain une porte s’ouvrit doucement. Le grincement des gonds annonçait l’âge vénérable de la construction. Le battant s’arrêta au milieu de sa course. Personne ne fit intrusion dans la pièce. Juste un courant d’air qui faisait sa visite.
« Mais il n’y a rien. Pourquoi m’as tu emmené dans ce lieu ?
Son esprit cartésien avait repris le dessus. La jeune femme, une littéraire qui aime les chiffres, se laissait quelquefois emporter par l’esprit poétique, en lien avec le monde de la littérature qu’elle avait longuement fréquenté lors de ses études. Mais depuis qu’elle avait commencé à travailler dans des sociétés ou les chiffres étaient importants, l’hémisphère rationnel de son cerveau reprenait souvent le dessus.
“Bon, on va avoir le temps d’aller manger, car la visite est finie non ?” ajouta t’elle trouvant un point positif à cette étrange situation.
Le besoin de manger est aussi assez rationnel chez elle, mais s’associait à un désir de gourmandise souvent évoqué, qu’elle ne pouvait satisfaire de manière autonome, car elle ne cuisinait pas.
Sa voix était un peu moins douce. Elle pouvait prononcer à certains moments des phrases dont l’expression devenait mécanique et la froideur rivalisait avec celle d’un glaçon.
« Regarde ! » lui dit-il alors qu’ils étaient revenu dans la pièce principale. Le soleil passaient par la fenêtre et s’étendait sur une de ses épaules et sur ses cheveux, rassemblés dans un chignon qui semblait bricolé chaque matin différemment, mais qui lui allait diablement bien.
« regarde quoi » dit elle, légèrement irritée
Il se recula de quelques pas. “cette expo est pourtant passionnante. C’est une rare exposition que l’on peut qualifier de vivante. Cette expo est brillante et l’oeuvre qu’on y découvre est jolie ».
“Mais il n’y a rien que des pièces vides, ce n’est pas un symbole de vie cà ! “
“Tu regardes trop vite. Moi j’ai vu une oeuvre plus jolie qu’un tableau d’ Ingres, ou Rubens, plus passionnante qu’une collection d’impressionnistes et bien moins statique que la Joconde”
« Ou ? montre la moi ? »
« Mais c’est toi !!!! »
Elle resta estomaquée, ne sachant pas si elle avait bien compris.
“Qu’est ce que tu as imaginé ? “
« Rien d’autre que d’organiser une expo autour d’une oeuvre qui en vaut beaucoup plus que d’autres. Sous des airs de jeune femme qui se promène dans une parka informe, que l’on ne remarque à peine, en tout cas c’est peut être ce que tu crois, tu es digne d’être le seul sujet d’une exposition. Tu es une oeuvre vivante, qui sourit, qui vit, qui laisse un parfum délicat dans son sillage. Si j’avais été peintre, tu aurait été muse.
Cette exposition a été conçue de manière à ce que tous les objets inanimés à valeur mercantile disparaissent. Seule subsiste la preuve qu’une oeuvre peut être vivante, que le charme féminin, le tiens bien sûr, peut se retrouver au centre de nos attentions. Tu ne l’as pas vue, cette oeuvre pourtant tu es passée devant ces grandes glaces » lui dit il en les désignant du doigt. « Mais tu es trop habituée à te voir » ajouta t’il dans un sourire.
« Cette superbe expo, tu en est le sujet et c’est assez magique. Tu bouges, tournes, je te vois sous de nombreux d’angles différents, dans tes baskets de jeune fille, ta parka de mère et d’épouse qui emmène ses enfants à l’école, cette peau blanche qui a tendance à rougir et te rend si délicate, ta démarche souple et déliée et tes cheveux qui hésitent joliment entre le roux et l’auburn.
Tu es la seule à savoir glisser dans un sms qu’il est possible de faire une promenade méridienne. Sans savoir précisément ce qu’est une telle promenade, on imagine que l’on va faire un voyage en calèche tirée par des chevaux de feu au milieu de la voie lactée. Loin de l’image de la femme parisienne, comme tu l’insinues, tu as tout pour être l’oeuvre qu’un homme à envie de contempler et auquel on a le droit de vouloir porter attention, délicatement, seulement quand tu le souhaites ou quand tu en a le temps…juste le temps d’une courte exposition » ajouta t’il dans un souffle.
Il ne voulu pas trop insister, il allait la mettre mal à l’aise.
« on peut aller manger maintenant, si tu veux ? »
« Comment t’es tu organisé « lui dit elle en descendant les escaliers. Sa voix était devenue de nouveau soie et tendresse.
« Laissons de coté les aspects logistiques, quelques mots suffisent pour qu’un rêve prenne corps. On va aller se sustenter » !
c’est bien plus rationnel, pensa t’il heureux de la surprise qu’il lui avait faite. Il fallait revenir dans le monde réel.
Ils prirent côte à côte le chemin d’un endroit ou se restaurer en traversant ce vieux Pont- Neuf. Malgré la faim qui se faisait sentir, il aurait bien voulu s’asseoir dans une de ces corbeilles à la forme d’alcôve qui longent le pont, pour profiter encore de ces moments particuliers ou il pouvait délicatement s’incruster dans son agenda.
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[…] du jour ou le classique l’emportait. Cette brasserie bon chic bon genre, faisait face à un musée qui siègeait sur l’autre rive de la Seine. S’invitait aussi dans cette brasserie […]