Vous avez jusqu’au 16 juillet 2023, pour voir l’exposition du Palais Galliera, dédiée à l’année 1997, une année décisive dans l’histoire de la mode contemporaine.
À la fois consécration de la mode des années 1990 et charnière vers le nouveau millénaire, 1997 voit l’enchaînement effréné de collections, de défilés, de nominations, d’inaugurations et d’événements qui dessinent l’échiquier de la mode tel qu’on le connait aujourd’hui. Cet impact est tel que 1997 pourrait être considérée comme le lancement de la mode du XXIe siècle.
Une diversité, en tout cas dans les formes et les silhouettes
L’année se distingue par des collections emblématiques : les corps déformés par Comme des Garçons avec la collection « Body Meets Dress, Dress Meets Body », les vêtements conceptualisés par Martin Margiela avec la collection « Stockman », ou encore les canons de la beauté masculine redéfinis par Raf Simons avec la collection « Black Palms »…
Vogue qualifie cette époque de « Big Bang », quand d’autres regrettent le passé
Le magazine Vogue Paris définit la saison haute couture printemps-été 1997 comme le « Big Bang » dont Paris avait besoin pour retrouver sa place de capitale internationale de la mode, à une époque de crise économique et de forte concurrence mondiale.
Les enjeux de style prédominaient en ces années 90, ils ne sont plus les seuls en lice désormais, l’environnement les accompagnent, et le magazine au papier glacé et aux images figées, consacré aux collections de haute couture relatait une semaine mémorable, qui avaient tout à la fois ébloui, fasciné, exaspéré et scandalisé le monde entier.
Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler faisaient alors leurs débuts, tout comme Alexander McQueen qui, porteur de grandes attentes, venait remplacer chez Givenchy ( à tout juste 27 ans ! ) John Galliano, nommé quant à lui à la tête de la maison Christian Dior.
Dans son éditorial, Vogue interprétait cette frénétique succession d’événements comme « un souffle extraordinaire à l’idée même de la couture » et assimilait cette nouvelle couture à « une foire, une célébration, un rassemblement des talents. Un big bang, un événement galactique, une occasion de fierté et de vortex d’un changement d’attitude général».
À rebours de l’enthousiasme optimiste de Vogue, Laurence Benaïm déplorait dans Le Monde ce qu’elle considérait comme « l’enterrement doré et joyeux de la haute couture, c’est-à-dire d’un métier » et estimait que ce spectaculaire jeu de chaises musicales au sein de la profession trahissait « la légèreté avec laquelle les financiers spéculent sur des étalons, au mépris d’un
artisanat et d’un savoir-faire dont l’avenir n’est plus lié, désormais, qu’à des opérations de relations publiques ». Elle citait encore les propos d’Yves Saint Laurent en personne qui y voyait« du music-hall ». Les derniers shows de la mode dans ces années 2020 ont vu resurgir ces mêmes interrogations: métier ou spectacle ?
La haute couture, du travail de la main à celui de l’image
De deux cents maisons de couture en 1946, elles ne sont plus que quinze en 1996. Pour survivre, cette industrie en déclin aurait besoin, selon la presse, d’« une contre-offensive médiatique ». Celle-ci se produit en juillet 1996, à l’occasion de la recherche du successeur de Gianfranco Ferré à la tête de Christian Dior, qui soulève un intérêt immense et secoue le monde
de la mode. Ces rumeurs sans précédent prennent fin en octobre, avec la nomination de John Galliano. Elle sera suivie de celle d’Alexander McQueen chez Givenchy, et l’annonce de leurs premières collections haute couture en janvier 1997. Les deux jeunes créateurs sont rejoints par Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler, deux figures du prêt-à-porter des années 1980.
Cette semaine de haute couture est la plus médiatisée de la fin du XXe siècle.
Le Palais Galliera présente cette suite d’événements qui parcours le temps
Enfin, toute une suite d’événements marque le commencement d’une ère nouvelle, comme l’inauguration du concept-store Colette, épicentre de la mode pendant 20 ans, ou une rupture avec, par exemple, la disparition tragique de Gianni Versace.
Le parcours chronologique de l’exposition réunit plus de 50 silhouettes issues des collections du Palais Galliera, de prêts de musées, de collectionneurs internationaux et de maisons de mode. Il est enrichi par autant de vidéos et de documents d’archive inédits.
On passe de l’exhubérance des formes de Rei Kawakubo, au design coloré des tenues des prêtres réalisé par JCde Castelbajac pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris, à l’audace sexuée de Tom Ford avec son slip ficelle pour Gucci, en passant par la rigueur toute monacale de Nicolas Ghesquière lors de son premier défilé pour Balenciaga.
Ainsi après des travaux d’approche opérés par des grandes maisons (Dior , Givenchy) et refusés par Jean Paul Gaultier, ces propositions auront fait ressurgir chez le créateur un rêve d’enfant, celui de rejoindre la haute couture. IL se lance dans la haute couture, avec un défilé reprend les codes traditionnels de la discipline. Sans musique, seule la voix suave et riante de la journaliste Élisabeth Quin décrit chaque passage à la manière des aboyeuses lors des présentations de l’entre-deux-guerres.
La première collection haute couture de John Galliano est attendue comme l’événement principal d’une saison explosive. Nommé directeur artistique de la maison Christian Dior en octobre 1996, son premier défilé marque le cinquantenaire de la marque à un mois près. Salué par la presse, ce défilé lance quatorze années durant lesquelles John Galliano hissera la maison Christian Dior au sommet d’une créativité inégalée, en haute couture comme en prêt-à-porter.
Après une première collection haute couture présentée en 1992, Thierry Mugler tente à nouveau l’exercice. Le groupe pop rock U2 fait appel à Walter Van Beirendonck pour dessiner les costumes de sa tournée mondiale PopMart Tour, dont la première a lieu à Las Vegas. Depuis la fin des années 1980, le créateur anversois se distingue par un univers à la fantaisie débridée et par des collections aux dimensions politiques, écologiques et sociales. Elles marqueront autant la carrière du créateur que celle des musiciens, au point d’être représentées dans un épisode de la série Les Simpsons.
Christian Lacroix fête l’anniversaire des 10 ans de sa maison de couture. L’opulence qu’il professe depuis ses débuts, un temps contestée par le minimalisme du début des années 1990, est revigorée par le virage théâtral que prend la haute couture en 1997.
C’est au cours de ces années que le créateur américain Jeremy Scott triomphe avec sa collection « Rich White Women » qui reflète l’angoisse d’une société face au corps transformé par la chirurgie esthétique et le clonage, que l’on découvre les premières collections d’Olivier Theyskens, de Véronique Branquinho et de Josephus Thimister, nouvelle génération de créateurs formés en Belgique.
Stella McCartney présente sa première collection pour Chloé et confirme le succès des jeunes talents britanniques nommés à la tête d’importantes maisons parisiennes.
À Milan, Donatella Versace succède à son frère et présente une première collection vue par la presse comme le commencement d’une « ère nouvelle ».
14 octobre 1997 – Rei Kawakubo crée les costumes du ballet Scenario de Merce Cunningham Salon d’honneur Pionnier de la danse abstraite, le chorégraphe américain Merce Cunningham, intrigué par les silhouettes déformées de sa collection printemps-été 1997, s’adresse à Rei Kawakubo pour réaliser les costumes et les décors de son nouveau ballet.
L’original qui n’a vu lui suivre que des copies
On retrouve avec plaisir, voire nostalgie, le fameux IMAC dans une salle du Palais Galliera. Dans un Paris où les propositions commerciales innovantes font défaut, Colette Roussaux et sa fille, Sarah Andelman, inaugurent colette au 213, rue Saint-Honoré. L’enseigne va participer à définir en France la notion de concept-store, défini par le sociologue et journaliste Francesco Morace à partir de l’italien « negozi di concetto » [magasins conceptuels]. Avec leur slogan « Style Design Art Food », mère et fille ambitionnent de réunir une boutique, une librairie, une galerie d’exposition, un restaurant. Elles mélangent librement vêtements, accessoires et produits high-tech, alors introuvables à Paris, dans une sélection renouvelée régulièrement. En vingt ans, colette deviendra « le passage obligé de la capitale ». Sa fermeture définitive, le 20 décembre 2017, marquera pour la presse « la fin d’une ère ».
Aujourd’hui, alors que ce système est en pleine mutation (remis en question par les mouvements féministes, l’inclusivité, l’écologie, l’appropriation culturelle et les limites de la mondialisation, exacerbés par la récente pandémie et les réseaux
sociaux), l’exposition 1997 Fashion Big Bang à Galliera invite à découvrir, ou à revivre, l’étonnante simultanéité de ces événements charnières, avec le souhait de restituer l’énergie créative d’une époque. Défilés et créations de référence, faits marquants, émergence de personnalités emblématiques… pas moins d’une cinquantaine de dates clés font de 1997 une année exceptionnelle dans l’histoire de la mode, qu’il est passionnant de redécouvrir avec un regard ombré par une actualité prenante.
L’espace de ce lieu dédié à la mode et théatre de nombreuses expositions, est conçu pour permettre une déambulation du public, à la fois dirigée en respectant la chronologie des défilés, et à la fois flexible permettant au visiteur de passer librement d’un créateur à l’autre.
Les silhouettes sont présentées sur des podiums de tailles et de hauteurs variables qui invitent à suivre « l’onde de choc », et se combinent afin de créer des parallèles et des regroupements ou, au contraire, d’isoler certaines silhouettes. Les podiums dessinent le parcours de l’exposition et organisent l’espace en trois dimensions.
Il n’y a pas de création textile, et de défilé sans une influence musicale. Liée à cette exposition de Galliera, vous pouvez revivre l’année 1997 en musique grâce à la playlist qui accompagne l’exposition, sous la direction artistique de Michel Gaubert, illustrateur sonore des plus grands défilés de mode depuis les années 1990.
Disponible gratuitement sur Spotify, Deezer (si vous la trouvez ?) et YouTube.