Ce n’est pas parce que la Tour Eiffel donnait l’impression de sortir à peine de son sommeil et des nuages en arrivant sur l’esplanade du Trocadéro, en ce matin de janvier, que l’on allait garder un esprit embrumé concernant le wax, grâce à l’équipe du Musée de l’Homme qui allait nous permettre de voir plus clair quand aux origines de ce tissu aux motifs colorés. C’est dans le cadre de sa saison « Migrations », que le Musée situé au Trocadéro a mis sur pied une exposition entièrement consacrée à ce tissu emblématique du continent africain, dont les couleurs et les motifs ont traversé les frontières et les décennies.
Une exposition en deux volets, l’un consacré à l’histoire du tissu, depuis plus de 120 ans entre Asie, Europe et Afrique,
et l’autre à son actualité sur la scène de la mode, du design et de l’art contemporain.


L’exposition donne à voir sa richesse et son histoire singulière, méconnue du grand public, au Balcon des Sciences (2e étage du musée). Le wax est un tissu de coton imprimé sur les deux faces, selon une technique utilisant la cire (wax, en anglais) pour délimiter des plages d’impression de motifs. Son histoire débute au 19e siècle, au carrefour de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique. Les premiers exemplaires sont fabriqués par des entrepreneurs néerlandais cherchant à reproduire les traditionnels batiks indonésiens, qu’ils destinent au marché indonésien. Mais c’est sur le continent africain que ces imitations connaîtront le succès, grâce à des soldats ghanéens, enrôlés à Java par les Néerlandais au milieu du 19e siècle. En regagnant leur pays, la Côte-de-l’Or (actuel Ghana) à la fin du 19ème siècle, ils emportent avec eux quelques-uns de ces tissus, qui suscitent l’engouement dans leur région.


Les Européens décident alors de réorienter leur production vers leurs colonies ouest-africaines. À partir de la seconde moitié du 20e siècle, la production du wax se développe au Nigeria, au Bénin, au Burkina Faso en Cote d’Ivoire avant d’être
concurrencée, notamment par les compagnies asiatiques. Le tissu devient alors l’enjeu d’un commerce mondial.
L’exposition revient sur les grandes étapes de cette saga avec la mécanisation de cette la production au cours de la seconde
moitié du 19e siècle, l’emprise de Vlisco, la manufacture historique des Pays-Bas, le succès de sa succursale ivoirienne Uniwax fondée en 1967, le rôle des « Nana BENZ » Puissantes femmes d’affaires au Togo au Togo à partir des années 1960…
Ce volet historique de l’exposition montre aussi que le tissu doit avant tout son succès à ses motifs, dont les bases
iconographiques ont été posées dès le tout début du 20e siècle, et qui puisent leur spectaculaire diversité dans la faune et la flore aussi bien que que dans les actualités politiques et sociales.

Par ses motifs et la coupe du vêtement il permet à celui ou celle qui le porte de faire passer un message, de montrer son appartenance à une communauté ou son engagement en faveur d’une cause qui lui tient à coeur. L’exposition permet d’apprécier les différentes qualités de tissus : du fancy, imitation bon marché largement répandue, au superwax
de qualité supérieure, en passant par le glitter glam aux reflets brillants


Quand les artistes s’emparent du Wax
Depuis deux décennies, le wax suscite l’intérêt croissant d’artiste et de styliste qui revisitent sa signification historique et culturelle autant qu’ils explorent ses possibilités esthétiques.
L’exposition présente une sélection de leurs oeuvres au Foyer Germaine Tillion (1er étage du Musée) . Elles reflètent une diversité de perspectives oscillant entre amusement, interrogation et décalage, et offrent une tribune à celles et ceux qui
abordent les aspects plus polémiques du wax, notamment son lien avec l’histoire coloniale.
Quand on discute avec certains designers originaires d’Afrique, ils sont plusieurs à prendre leurs distances avec ce tissu, trop réducteur à leurs yeux de la richesse du patrimoine africain. je pense notamment à Boye Doé ou encore à Kwame Aduseï, tout deux par ailleurs, originaires du Ghana.
Car le Wax n’a pas la même signification pour tous. Puissant vecteur d’identité, il pose la question de l’appropriation et de la réappropriation culturelles. Pour certains, il est un emblème, un symbole d’appartenance à un héritage partagé, pour d’autres, il demeure un tissu imposé par l’impérialisme européen, engendrant un sentiment de rejet. Les photographes
Malick Sidibé et Seydou Keïta ont notamment documenté, dans les années 1960, période des indépendances, une vie quotidienne où le wax était devenu accessible à tous, porté dans toute l’Afrique occidentale et centrale.
Certains photographes contemporains témoignent, eux, de nouveaux usages du wax, à travers lesquels il s’impose
comme un marqueur de fierté et d’appartenance, tant sur le continent qu’au sein de la diaspora africaine. D’autres encore l’utilisent comme support de réflexion sur la place de l’Afrique dans un monde globalisé.


Ils s’appuient sur sa palette graphique immédiatement identifiable pour créer des oeuvres engagées dénonçant les
excès de la société de consommation, depuis l’exploitation massive des ressources naturelles jusqu’au drame des migrants qui périssent en mer.
Les notions de panafricanisme, d’empowerment, d’Afropéen, d’upcycling, et d’afrodystopie sont ainsi évoquées, à travers les oeuvres du plasticien béninois Romuald Hazoumé, du plasticien camerounais Lamyne M, du styliste ivoirien Alexis Temomanin (créateur de la marque DentdeMan), de la styliste camerounaise Adina Ntankeu, des stylistes et designers textiles du collectif Heartwear, du styliste malien Lamine Badian Kouyaté (créateur de la marque XULY.Bët), des photographes maliens Malick Sidibé et Seydou Keïta, de la photographe kenyane Thandiwe Muriu, du photographe sénégalais Omar Victor Diop, de l’artiste visuel Gombo, du peintre congolais Monsengo Shula, de l’artiste et designer sénégalaise Selly Raby Kane, de l’artiste ghanéen Michael Gah, de la peintre nigérianne Tonia Nneji, du sculpteur textile nigerian Samuel Nnorom, du peintre congolais Hilary Balu, de l’artiste congolais Sinzo Aanza, ainsi que de la photographe Krissima Poba et du sculpteur togolais Didier Ahadji.
Le Wax en bande dessinée !
À l’occasion de cette exposition consacrée au Wax, Bayard Graphic publie, en partenariat avec le Musée de l’Homme – Muséum national d’Histoire naturelle, Wax Paradoxe, de Justine Sow, une bande dessinée qui retrace la grande aventure du wax à travers celle de Sofia, une jeune femme métisse qui renoue avec son histoire familiale. Celle-ci découvre en effet que les wax que son père lui offrait chaque année étaient davantage que des cadeaux : ils portaient, à travers leurs motifs, des messages d’amour et de confiance.
Cet ouvrage est le premier publié en tant que scénariste et dessinatrice par la jeune femme, journaliste à la télévision belge et diplômée de l’école Saint-Luc de Bruxelles en bande dessinée. En librairie

Des animations pour mieux comprendre
Les samedi 17 et dimanche 18 mai, le musée proposera de nombreuses animations et atelier pour tous les publics, dans une ambiance festive, pour s’imprégner dans cet univers coloré et chaleureux et mieux comprendre quel regard on peut porter sur ce tissu, moins africain qu’il n’y parait.
Avant cette exposition, vous pouvez également écouter le podcast de Radio France, consacré à ce sujet.