C’est un beau quinquagénaire. Il vient d’atteindre les 50 jours et s’appelle Confinement. Il semble en pleine forme mais chacun va le voir disparaître, un jour, sans beaucoup d’amertume. 50 jours, une échéance finale encore inconnue, c’est 1200 heures pendant lesquelles notre horizon s’est singulièrement rétrécis ou la distanciation sociale a mené aussi en parallèle une sorte de dissolution sociale entre les personnes elles mêmes et les marques. Que va t’il rester de ce compagnonnage forcé avec son canapé ou le style est sans doute plus d’une fois resté abandonné au fond du placard. Tagwalk a mené une enquête en ligne pour déterminer les conséquences de cette période dans le monde de la mode, ou entre crise, fitness at home et laisser-aller on se retrouve chez soi à avoir besoin de moins de vêtements et de plus d’écrans.
Je ne ferais pas injure à ceux qui passent sur ces pages de leur expliquer ce qu’est Tagwalk? Fondée par Alexandra Van Houtte, cette plate-forme est une fabuleuse base de données qui rassemble les images des lookbooks, des défilés, ainsi que des looks de rues. Elle permet de faire des recherches précises, d’analyser les datas et détecter les tendances. Lancée en 2016, Tagwalk permet aux utilisateurs de rechercher des images par couleur, tissu ou mot-clé de tendance, ainsi que par des filtres typiques tels que saison, semaine de la mode, créateur et modèle. Il était donc tout naturel que s’appuyant sur sa communauté, très féminine, elle lance une étude pour comprendre quelles en étaient les attentes post-confinement.
Passons sur la composition de l’audience, qui indique une solide présence française, 50% de l’audience éclatée dans de nombreux pays et une domination des femmes. Les tranches d’âges montrent que l’étude Tagwalk couvre bien le coeur de cible de la mode, une femme détentrice de son propre pouvoir d’achat.
Un consommateur plus indépendant dans ses choix
Il y a plusieurs points qui émergent dans cette étude Tagwalk. La sensibilité à trouver dans la rue des exemples de style qui tend à penser que les consommatrices potentielles ont encore un peu de leur libre arbitre. Il faut dire qu’une mode portée est le plus souvent une mode accessible. Les défilés semblent moins les séduire et à l’avenir on peut imaginer que des actions fortes comme celle que vient de décider Saint Laurent, la marque se retire du calendrier de la fashionweek 2020, soit prise par d’autres. Cela peut être un choix d’entreprise pour donner un sens à cette fonction qui est d’habiller les personnes et non seulement vendre des fringues, ou simplement un geste opportuniste, tellement il est difficile dorénavant de se distinguer. On a fait un peu le tour des lieux originaux, la course se relance tous les 6 mois et les défilés s’enchaînent comme un film en accéléré. Seul Chanel a pris une dimension particulière avec sa capacité à créer des show plus spectaculaire que Harry Potter et la Guerre des Etoiles réunis. La Suède avait déjà supprimé sa fashion week, mais l’entrée d’un grand acteur de la mode dans une période d’abstinence sera un signe plus fort. L’avenir nous dira, si la tendance digital va désormais prédominer, avec des défilés onlines, comme AMI sait en organiser sur Facebook ou encore comme l’organise le Met avec le MetGala Challenge
Un second point, lié peut être à ce besoin de transparence et de naturel qui sous tend de nombreux besoins actuellement et la potentielle perte d’influence, oui cela semble paradoxal pour ceux qui s’affublent de ce nom, des « influenceurs ». Il faut dire qu’il est devenu tellement chronophage de devoir aujourd’hui filtrer sur tous les réseaux sociaux, les fake news des vraies, que ces personnages qui donnent plus souvent l’impression d’exister que par le nombre de cadeaux que les marques leurs font, semblent drapés dans une vacuité digitale trop repérable désormais. Cela rassurera les journalistes qui font un vrai travail de recoupement et d’enquête. Si par hasard, vous découvrez un article ou un post, voire un tweet, ou on vous dit que prendre de la Chlorokine facilite le shopping, n’hésitez pas à douter de la source de cette information ;).
Enfin la tendance du local et du sustainable est importante. Il semble qu’il y a encore un bout de chemin à faire, car si la tendance se dessine, ce n’est pas un basculement aussi brutal que l’on pourrait s’y attendre. La majorité qui fait attention à la mode éco-citoyenne n’est pas encore écrasante. Pourtant le style est désormais partout, mais la désirabilité des marques et le capital marque reste sans doute encore une force d’attraction certaine. D’ou la nécessité de donner de la visibilité, loin d’influencer donc, aux jeunes créateurs. Cela passe peut être aussi par le renouvellement des points de vente et à la mise en avant d’initiatives comme l’Atelier Méraki ou La Caserne Paris.
Globalement l’étude Tagwalk montre qu’une certaine pédagogie reste à faire sur ces sujets pour aider à retrouver l’envie d’acheter mieux, en montrant que la durabilité peut être moins chère, même avec un prix d’achat initial plus élevé. Un vêtement qui dure plus longtemps et qui consomme moins de matière première à un coût plus bas pour la planète et pour le consommateur sur un long terme, échéance bien différente que celle que veut nous imposer le temps d’une collection.
Du front row au tiroir caisse
Alors 11 mai ou autre date à cocher prochainement dans notre calendrier, le comportement d’achat est une information que tout le monde guette avec une attention particulière en retenant son souffle comme si on on se trouvait au fond de la jungle, cherchant à apercevoir le dernier exemplaire d’une espèce en voie de disparition, un consommateur à carte bancaire valide. Va t’on assister à un phénomène de « Revenge Shopping ». Le chiffre cité plus haut (62% de non) dans l’étude Tagwalk n’incite pas à le croire. Va t’on voir comme en Chine chez Hermès un chiffre d’affaire atteindre un sommet jamais vu lors de la réouverture de la boutique située à Guangzhou lors du déconfinement ? 2.700 000 $ en 24h ! Une étude américaine ne prévoit pas de comportement aussi volontaire concernant l’acte d’achat. A l’heure actuelle le consommateur s’avance masqué !
En dehors des craintes sanitaires qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, ce confinement peut nous faire prendre conscience que « less is more ».
Psychologiquement, sommes nous prêts à consommer comme avant ?
L’aspect psychologique, sans doute plus difficile à mesurer, s’appuie aussi sur d’autres craintes. Le choc climatique, caché derrière les chiffres des malades et des décès engendrés par le Coronavirus, le choc économique qui tend à s’annoncer à l’horizon et qui va lui aussi sans doute faire réfléchir et modifier la volonté de consommer d’une partie de la population.
Une étude en cours de réalisation en Suisse montre des premiers résultats dans ce sens. » Les gens ont remarqué qu’ils n’avaient pas besoin de courir le monde et les boutiques pour être heureux et qu’ils pouvaient se passer de beaucoup de choses. Ils se sont recentrés et aimeraient bien que cela continue. Ils ne veulent pas que les choses redeviennent comme avant! Cette idée de retrouver du sens ressort naturellement de 90% des entretiens. Les gens aimeraient qu’il y ait plus de respect, plus de concentration sur les valeurs essentielles, plus de sens au travail, plus de temps pour vivre, plus de respect des écosystèmes, plus d’attention pour les produits locaux« … explique la psychologue de la santé Marie Santiago Delefosse dans le journal 24H
Alors entre quête de sens, nouveaux usages, télétravail, la tenue vestimentaire à travers Skype, Zoom ou Teams est moins exigeante, peuvent inciter à penser que l’allongement de la durée dans le temps est sans doute une bonne chose même quand il s’agit d’un vêtement, et infine, peut freiner l’envie de dépenser.
Une étude de Fastmag, éditeur de logiciels de caisse pour les chaînes de magasins d’habillement, a voulu rendre service à son écosystème en cherchant à mesurer l’impact de l’épidémie de Covid-19 : évolution du budget d’achat (vêtements, chaussures et accessoires) entre avant et après le confinement, raisons exprimées et évolution du canal d’achat (magasins versus e-commerce).
Il en résulte une décroissance de l’envie de consommer. Au cours des 30 jours suivant la fin du confinement, 45% des Français comptent réduire leur budget d’habillement d’avant crise pour une baisse moyenne de 75%. 32% envisagent de maintenir leurs achats comme avant le confinement et seulement 15% des Français comptent l’augmenter pour une hausse moyenne de 102%.
La crise économique n’est pas l’unique facteur de la baisse prévue pour les budgets d’habillement. 42% des Français comptant dépenser moins expliquent ainsi qu’ils ont pris conscience pendant le confinement que certains achats n’étaient pas utiles.
Cependant, d’autres explications directement liées à la crise sanitaire et économique sont avancées. 35% des répondants déclarent ainsi redouter d’aller en magasin à cause de l’épidémie.
Si l’étude conclut que 45% des Français comptent réduire leur budget d’habillement après le confinement, les magasins ne seront pas délaissés au profit de l’e-commerce au sortir du confinement. (Sondage Fastmag réalisé par OpinionWay).
Sauf qu’en pratique les mesures de distanciation sociale font faire prendre conscience que l’échelle du temps va encore s’accentuer entre commerce physique et internet, plus rapide et pratique. Il n’y a qu’à voir le succès des drives.
Autre point d’analyse, celui apporté par l’Observatoire de Cetelem. L’économie et le pouvoir d’achats sont une source d’inquiètude, plus marquée désormais que la question sanitaire. Plus d’un mois après le début du confinement, les Français restent très inquiets des conséquences de l’épidémie. Sur le versant sanitaire, plus que leur propre santé — 66%, -4 points depuis mars — c’est toujours la santé de leurs proches qui les préoccupe en premier lieu, même si dans une moindre mesure : 81%, -5 points depuis le début du confinement. Sur le versant éco-politique en revanche, leurs inquiétudes, déjà très fortes il y a un mois, ont continué à s’accentuer. En tant que particuliers, ils sont de plus en plus préoccupés par leur budget et leur épargne (72%, +4pts) et se sentent toujours aussi inquiets pour leur emploi (51% des actifs, +2pts). En tant que citoyens, 91% des Français nourrissent de l’inquiétude par rapport aux enjeux globaux tels que l’économie nationale (+3pts) et l’avenir du monde (85%) — un indicateur lui aussi en hausse : +4 points.
En cette période de frugalité contrainte, plus de la moitié des Français se sentent frustrés dans leur consommation : 55%, et jusqu’à 64% chez les jeunes. Quant à l’avenir, ils se montrent partagés : 47% clament avoir envie de retrouver le plaisir de consommer, alors que 53% manifestent au contraire une envie de diminuer leur consommation, — de manière choisie, cette fois. Cette période de ralentissement a encouragé 89% des Français à se poser des questions sur leur manière de consommer, notamment en faveur d’un mode de vie plus responsable pour la planète (84%), avec lequel deux tiers d’entre eux (65%) se sentent finalement à l’aise.
On ne peut pourtant pas en conclure que les Français ressortiront totalement ascètes de cette période. Sitôt qu’ils le pourront, outre revoir leur famille (80%) et leurs amis (70%) pour la plus grande partie d’entre eux, beaucoup se rendront également chez des prestataires de soins (coiffeur, esthéticienne, etc., 49%), au restaurant ou dans des bars (43%), à des spectacles (33%) ou enfin dans une moindre mesure acheter des vêtements (25%).
Le magasin est aussi source de sociabilité
Il y a de nombreux défenseurs du point de vente physique et là encore il ne faut pas véhiculer des idées excessives comme celle du grand remplacement du point de vente par un process exclusivement online. Le magasin a bien des atouts, ne serait ce que donner de la vie à nos villes et offrir une possibilité d’exprimer une sociabilité comme l’explique Bertrand Jouvenot dans son blog. Il y donne la parole à Vincent Chabault qui est Maître de conférences en sociologie, Associate Professor of Sociology, Chercheur au Centre de recherche sur les liens sociaux (CNRS).
Celui ci exprime deux raisons à l’importance du commerce physique. « je voulais apporter une contribution sociologique au débat sur la révolution commerciale que nous vivons en rappelant notamment l’importance du commerce et des magasins dans l’existence des individus. L’amazonisation, qui renvoie à la croissance des ventes en ligne dans le commerce de détail et la consommation sous algorithmes, rend paradoxalement plus visible l’importance du magasin dans le quotidien. Chaque Français consacre 23 minutes par jour à ses achats hors du domicile et hors trajet.«
« La seconde était de montrer que les magasins ne sont pas uniquement le lieu d’écoulement de la production capitaliste. Ils s’y jouent des processus sociaux que j’ai voulu illustrer en 22 chapitres assez courts (lien social, animation, cadre à la construction identitaire, réponse au besoin d’appartenance et de distinction…).«
Faut il escompter un changement à venir ? certainement. Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera à la marge ou systémique. Mais ne serait ce que par le nombre considérable de personnes touchées par le risque du virus et le confinement, « environ 2,63 milliards de personnes contraintes de rester chez elles au 30 mars » ( checknews -Libération) il y aura forcément des conséquences et des changements à venir.
Le magasin, point de faiblesse notable du dispositif
Au delà des envies évoquées dans le paragraphe ci dessus, de donner de la vie au quartier, un vrai projet de société qui doit pouvoir être préempté par les maires, WSN a mené une enquête pendant cette période de crise sanitaire liée au COVID-19 pour permettre à une grande partie du secteur de la Mode d’exprimer ses opinions et questionnements sur les soldes et les perspectives d’avenir post confinement et post COVID-19.
4 735 personnes ont répondu à cette enquête très générale incluant des sujets comme les soldes et promotions hors soldes ainsi bien sûr que le contexte actuel et les principales problématiques face à la pandémie du COVID-19.
Les personnes qui ont répondu sont à 70% des détaillants multi-marque ou gérants de concept store et 73% d’entre eux étaient présents pour le Prêt à Porter. Ils sont majoritairement en faveur d’un décalage des prochaines dates des soldes (à 88%) et en faveur (à 70%) de l’interdiction des périodes promotionnelles entre ces mêmes périodes de soldes comme le Black Friday, par exemple.
89% se trouvent aujourd’hui avec des problématiques de stocks dormants ce qui explique en partie les problèmes de trésorerie signalés. L’interdiction d’ouvrir est bien sûr une autre des raisons. Ce qui surprend le plus c’est de découvrir que 78% n’utilisent pas de solutions digitales et utilisent le verbatim de concurrence déloyale lorsqu’il s’agit de e-commerce. Fiscalité mise à part, qui est un problème qui dépasse les limites de l’hexagone, on n’a pas l’impression que les instances professionnelles les ont beaucoup accompagné pour leur permettre d’évoluer.
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