Plonger dans le monde de la Haute Couture, ne nous avait pas habitué à ce vent de fraicheur apportant tant d’innovations. Voir les différents aspects de la tech investir aussi profondément ce bastion du glamour Made in Paris, est presque une surprise. C’est en tout cas l’exemple que même les forteresses les mieux établies doivent regarder au delà de leurs fortifications pour se projeter dans l’avenir. Je ne parle pas des outils digitaux utilisés par toutes les marques et les designers, que cela soit sous forme de vidéo ou de 3D. Ces supports sont devenus une obligation puisque la distanciation sociale est une règle à respecter. Jadis on pouvait avoir des contacts étroits, dans ce milieu, un peu comme ceux que peuvent avoir les ciseaux avec le tissu. Le dialogue peut parfois être particulièrement tranchant dans cet univers.
Mais c’est plus en remarquant de quelle manière la technologie se glisse dans les modèles, inspire les designer que l’on peut faire le constat qu’à tout niveau, une prise de conscience favorable au changement prend forme.
La liste des membres et invités de la FHCM est révélatrice de cette évolution et au delà des clichés parisiens, la technologie semble se pacser avec la tradition. On verra dans le futur qui de l’avant-garde ou du snobisme passéiste gagnera.
La Haute Couture peut prendre le risque de casser les codes et offrir une mode libre d’esprit et de pensée qui innove tant au niveau du style ou des matériaux que des concepts, à partir du moment ou l’excellence est au rendez-vous.
Bravo à la FHCM qui nous permet, entre ses listes de membres, ses affiliés, ses « spécial guest », de voir le revival de Schiaparelli, le retour d’Albert Elbaz, la découverte de l’étonnant japonais Yuima Nakazato, sans oublier la toujours spectaculaire Iris Van Herpen.
Voila un aperçu de certaines collections, entre jeune marque ou designer et maison dont l’histoire à l’air quelquefois légère comme un voile de gaze à porter ou au contraire lourde comme un drapé de velours trop chamarré des couleurs du passé.
Yuima Nakazato : reconstruire une fibre textile innovante
Né entre un père sculpteur et une mère bijoutière, Yuima Nakazato a été élevé dans un environnement entouré d’art moderne et de diverses formes d’expression dès son plus jeune âge. Il commence à fabriquer des vêtements en tant qu’ autodidacte avant d’entrer au département de la mode de l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers. Il réfléchit continuellement à associer les dernières technologies et le savoir-faire artisanal dans ses processus de création.
Son défilé 2021 s’offre sous la forme d’une vidéo assez conceptuelle. Son scénario inclut la participation de la mannequin Lauren Wasser, qui suite à un grave accident de santé provoqué par le choc toxique d’un tampon a du se faire amputer de ses 2 jambes. Elle travaille aujourd’hui grâce à des prothèses, outils technologiques, qui lui permet de se projeter dans l’avenir.
L’avenir c’est aussi la direction qu’a pris Yuima Nakazato. Il s’est inspiré du concept japonais appelé « Boro », des vêtements fabriqués à partir de fragments précédemment portés par des centaines de personnes. « En héritant de l’esprit de Boro, je l’ai fusionné avec la technologie moderne. Les araignées ont développé un moyen de restaurer la structure de leurs fils, transformé par l’eau« , explique t’il dans sa vidéo.
Voulant associer la sagesse de la maturité et la biotechnologie de pointe, il travaille sur de nouvelles matières afin de créer des tissus aux formes changeantes et cela en poursuivant le but de vouloir aller jusqu’à une certaine démocratisation de la Haute Couture.
Un souci qui peut donner des sueurs froides au Conseil d’administration de la FHCM à la seule prononciation du mot, démocratisation, ou au contraire les encourager à inviter de nouveaux designers qui au fond d’eux même gardent l’esprit de confectionner des vêtements uniques pour chacun, ce qui reste un idéal très couture.
Dans cette idée, le designer a lancé sur son site, au Japon exclusivement pour le moment, un programme en ligne sur mesure [Face to Face]. Il s’agit d’un projet où le designer et un client co-créent un vêtement unique. Le client discute avec le designer en ligne, puis lui envoie une chemise blanche de son cru. Dans son atelier de Tokyo, Yuima Nakazato la réimaginera, la redessinera et la lui restitue sous la forme d’un vêtement entièrement nouveau.
Aelis Couture : s’inspirer de la nature
La créatrice toscane d’Aelis Couture, Sofia Crociani, est guest member de la FHCM pour les défilés 2021. La designer, qui a aussi fait des études d’architecture, demeurant dans une maison éco-responsable, prône la durabilité, de la coupe au concept. Comme elle l’évoque dans une itw de l’Officiel » La couture, à travers le savoir-faire, la beauté des matières, permet à la mode de tutoyer l’art – en ce qu’elle transforme un objet fonctionnel et éphémère en objet pérenne. Le vêtement n’a plus seulement la fonction d’habiller une silhouette, il doit aussi la sublimer«
Peu séduite par l’idée rabâchée de collection, elle préfère proposer des vêtements qui durent au delà des saisons. Elle n’hésite pas à faire référence à l’écologie et à parler de non-consommation, ce qui dans le cadre de la Haute Couture est peut être plus facile à entendre que s’il s’agissait de Prêt à Porter .
Dans la vidéo de son défilé, doté de montages audacieux, tournée dans une galerie d’art ou même le cameraman fait partie du show, par ombre interposée, on découvre des modèles qui ont été inspiré par le travail de l’araignée. Un point commun avec le designer japonais cité plus haut, qui s’est aussi inspiré de ce chélicérate. Elle propose une prise de conscience forte qui va jusqu’à décoloniser la nature. « Une conscience qui a grandi avec le Covid 19« , explique Sofia Crociani.
Iris Van Herpen joue la connexion entre l’humus et l’humain
S’il y a bien une designer qui a pris la tête de file d’un groupe de designer sur le chemin de l’innovation, c’est bien d’ Iris Van Herpen. Inspirée par la nature, sublimée par la technologie, ses collections forment un diadème qui couronne une tête bien faite qui fait disparaitre de la mode son coté futile pour ne laisser que transparaitre l’importance de la connexion de l’être humain et de la nature qui l’entoure.
De ce défilé 2021, on jugerait un peu vite qu’il est issu d’une inspiration qui viendrait du coté d’un monde aquatique. Mais c’est un mauvais choix. L’artiste nous explique que c’est plutôt du coté des sous-bois qu’il faut aller se promener et cueillir le sens de ses nouveaux modèles. Un peu comme on se glisse dans les bois pour trouver sous les calmes frondaisons les champignons qui sont soudain apparut après la dernière pluie fraiche. Le lien est tout trouvé.
Iris Van Herpen nous explique en effet avoir exploré la symbiose entre la haute technologie et le savoir-faire artisanal de la couture, à travers cette collection qui fait référence à la complexité des champignons et à l’enchevêtrement de la vie qui respire sous nos pieds. À travers « Roots of Rebirth », Van Herpen s’intéresse à la miraculeuse interconnectivité qui tisse un dialogue entre le monde terrestre et le monde souterrain.
Il n’en reste pas moins que de la mer à la terre, cette créatrice est une personnalité forte dont les créations se hissent bien au delà de l’humus du Prêt à Porter.
Personnalité vedette de la mode néerlandaise, elle prône une mode qui plonge la femme dans une vague de modernité sans pour autant la transformer en humanoïde asexué.
Au delà des designers « new generation », il ne faut pas oublier les marques classiques, connues ou oubliées …
Schiaparelli revient sur le devant de la scène
Schiaparelli était la première marque à passer dans le calendrier de la Haute Couture. De ses salons du 21 Place Vendôme, elle avait pu admirer Lady Gaga arborer une de ses tenues lors de l’investiture de Joe Biden. Une mise en avant bien venue pour une marque dont l’excentricité était la marque de fabrique… dans les années 30. On dirait aujourd’hui, son adn.
Au 21 ème siècle, on retrouve des logos brodés en gros sur les ceintures, des bijoux surdimensionnés, code d’expression moderne d’un nom qui ne doit pas dire grand chose aux jeunes générations. Mais à certains moments, réseaux sociaux obligent, la mise en avant de soi, l’expansivité, voir le coté femme extravertie qui veut se faire remarquer sur Instagram, plus qu’en soirées, celles-ci étant pour le moment annulées, permet de faire resurgir cette marque des limbes du passé. Kim Kardashian en est un peu le symbole, lorsqu’elle porte le corsage en cuir façonné en abdominaux et une jupe drapée en velours vert, l’ensemble accompagné de boucles d’oreilles surdimensionnées à pendentif serpent. Pas mal pour une marque dont Betty Ballard ( américaine, éditrice de mode chez Vogue à Paris à partir de 1935 ) écrivait à son sujet dans ses mémoires : « les traits de sa personnalité qui avaient justement contribué à sa renommée, la rendirent démodée« , en parlant après la seconde guerre mondiale de la créatrice italienne.
Dior met en avant toujours l’excellence
Que dire de Dior, oui on dit Dior et non plus Christian Dior. C e raccourci est aussi une sorte de sacrifice au dieu de la modernité. On découvre dans ce film, qui comme d’habitude donne une vision de la mode très onirique et poétique, un raffinement ultime, qui bénéficie de moyens financiers sans doute largement au-dessus des autres marques citées dans ce post.
La vidéo, propose 15 minutes d’un film scénarisé jusque dans ses moindres détails et si le monde du tarot évoque la bonne aventure, on aimerait bien d’ailleurs que quelqu’un, nous tire les cartes avec justesse en ce moment, l’univers et l’ambiance est particulièrement Haute Couture, avec drapé et broderie dans un sublime et mystérieux palais italien qu’on imagine florentin. Ces films expriment toujours avec perfection la précision du savoir-faire des petites mains et des artisans de la couture française. Même quand il semble y avoir une imperfection, elle apporte un plus. La comédienne principale à les stigmates d’une cicatrice sur le visage. Peut être est-ce cela aussi l’évolution de la mode ? Etre plus inclusive, comme avec l’exemple du mannequin femme qui porte la création de Yuima Nakazato citée plus haut.
Alber Elbaz revient comme un ingénieur plus qu’un designer !
On redécouvre grâce à ce calendrier de la Haute Couture, Alber Elbaz, son talent et sa rondeur. Et là, le choc est total, quand on découvre que ce personnage, pilier de Lanvin, plus que les actionnaires asiatiques, nous explique que lors de ses derniers voyages la destination le plus importante pour lui a été la Silicon Valley. Assis à son bureau évidé, il se dessine non en designer mais en ingénieur.
AZ Factory sa nouvelle société, sonne un peu comme Station F ou comme un espace de coworking berlinois.
On plonge dans 25 mn de vidéo pour découvrir la nouvelle histoire d’Alber, les innovations qu’il souhaite apporter coté matière, pour toutes les femmes, qu’elles soient maigres ou « curve ». Au final ces dernières se font quand même plutôt très discrètes dans son show. L’image de la Haute Couture n’est pas encore trop compatible avec le concept de taille « non fine ».
C’est un show plein de projets positifs, de modèles accessibles dans le sens ou il sont imaginés pour le quotidien d’une femme active. La femme AZ Factory porte des sneakers. Oui, mais revues par Alber !
Le final de ce fashion show ferait un parfait exemple de cluster, malgré tous les messages sanitaires présentés initialement.
On découvre aussi avec plaisir le logo, petit robot à face lunaire, qui cligne de l’oeil, symbole de cette aventure entrepreneuriale, avec comme VC, pour garder la terminologie Silicon Valley, le groupe Richemont. Un graphisme qui est encore un emprunt à l’innovation technologique doté d’un petit coté décontracté auquel la Haute Couture ne nous a pas trop habitué.
Ravi de suivre ce qu’il va pourvoir faire en proposant cette nouvelle approche de la mode ou l’innovation technologique ne nuit pas à l’élégance. Le zip à lanière pour que la femme reste indépendante, vu sur des combinaisons de surf, ou les modèles de vêtement MyBody qui s’intègrent parfaitement dans le quotidien d’une femme, quelles que soient ses formes sont une approche résolument moderne. Une démarche qui confirme aussi qu’en cette année 2021, vous pouvez proposer un défilé de Haute Couture, fut il numérique et en même temps rendre les modèles accessibles immédiatement online.
Pour ceux qui veulent suivre les nouvelles collections masculines FW2021 de Prêt à Porter, il y aussi une plateforme accessible à tous que vous pouvez consulter.
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[…] marque de luxe sise dans une rue cossue du 8 arrondissement. Le créateur à d’ailleurs souligné lors de son dernier défilé, en ligne, que l’endroit qui l’avait le plus marqué récemment était… la […]
[…] le domaine de l’innovation et du style, on connait les créations d’Iris Van Herpen et celles de Clara Daguin qui savent concevoir à la perfection un univers enchanteur et […]
[…] son sens de l’élégance lors de l’exposition Lanvin en 2015, j’avais apprécié son retour. Albert Elbaz apportait avec AZ Factory un vent de fraicheur dans la mode, en intégrant toutes les […]
alber pas albert
merci !