La Haute Couture est un monde qui peut sembler un peu distant, fermé sur lui même, avec ses codes. Aujourd’hui cet univers ne ressemble plus forcément à ce que nous montrent les dernières séries comme C.Balenciaga sur Disney + ou Le New Look sur AppleTV. C’est presque un terme qui évoque un monde qui aurait désormais la forme d’une ombre, la silhouette d’un souvenir.
Pourtant la Haute Couture, c’est aussi des savoir-faire, possédés par des équipes qui ont le talent de bâtir une robe, travailler des tissus transparents, broder un motif particulier, ou monter avec précision une manche. Regardez la série Balenciaga et la névrose du couturier qui va jusqu’à remonter la manche de la veste de la journaliste.
Au delà justement de l’effet de manche et de l’impact de la communication qui s’impose à tous par la présence continue sur les réseaux sociaux, il y a de réels savoir-faire détenus par les équipes de seconde main, première main, chef d’atelier tailleur ou flou, qui composent l’essentiel des équipes des maisons de Haute Couture.
« Haute Couture », un parcours auprès des plus grand.e.s
La Haute Couture, c’est le titre de l’ouvrage qui révèle la vie de Madame Colette. Elle nous raconte plus de 50 ans de sa vie professionnelle dans l’univers de la Haute Couture, en tant que première d’atelier aux côtés de grands couturiers tels que Mademoiselle Chanel, Karl Lagerfeld, Hanae Mori, Hubert de Givenchy, Alexander McQueen, John Galliano ou encore Yves Saint-Laurent. Toutes ces années passées dans le monde fermé de la couture lui ont permis de faire de belles rencontres, Monsieur Lesage, Monsieur Pierre Bergé, Hubert de Givenchy, Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent, John Galliano….Il y a même un moment de disgrace (après 24 ans chez Chanel !) et d’autres ou, comme nous l’explique Madame Colette, elle va se retrouver « au coeur de la maison ou l’histoire de la mode va vivre la plus grande révolution de cette fin du 20ème siècle« .
Une vie dédiée à la Haute Couture
Colette Maciet commence chez Chanel comme apprentie à 14 ans où rapidement elle va gravir les premiers échelons alors que Mademoiselle, la fameuse Coco, entame la dernière décennie de sa vie. Cette entrée dans la mode par la grande porte de la rue Cambon va lui permettre d’accompagner par la suite les premiers pas d’Hanae Mori, la seule Japonaise à avoir obtenu le label Haute Couture en France. À ses côtés elle décrochera le poste rêvé de première d’atelier.
Cette fameuse distinction aussi prestigieuse que celle d’un chef étoilé; un sésame pour habiller les têtes couronnées, comme la reine Noor de Jordanie, dîner avec Carole Bouquet ou converser en toute simplicité avec Audrey Hepburn. C’est donc en tant que première qu’elle va accompagner les folles premières années de Karl Lagerfeld chez Chanel. Aussi foisonnantes que révolutionnaires.
Puis elle rejoint Hubert de Givenchy. Au sein de sa maison, elle va vivre les dernières années de la Haute Couture classique et élégante avant que, soudainement, elle ne devienne rock’n’roll avec l’arrivée de Galliano et McQueen. Deux designers britanniques qui vont violemment faire table rase du passé… Un nouveau monde éclot où les chiffres, le buzz et les folies en tout genre n’ont plus la même allure…
Lassée des excentricités parfois épuisantes des deux designers, Colette va alors rejoindre le grand maître Yves Saint Laurent. Elle l’accompagne et le protège jusqu’à la fermeture de la maison de Haute Couture.
Un petit passage chez Gaultier et Nina Ricci va la convaincre que finalement travailler pour son compte est sans doute une bonne idée. Elle créera une structure avec une de ses partenaires rencontrée dans un des ateliers de Haute Couture qui lui donnera la formidable opportunité de redonner vie à d’incroyables créations d’Yves Saint Laurent pour le musée de Marrakech ou encore de réaliser les derniers croquis très privés d’Hubert de Givenchy déjà à la retraite…
Faire d’un saucisson un chef d’oeuvre
À la force de son talent, mais aussi parce qu’elle a su rêver à un autre destin que celui auquel elle semblait vouée, Madame Colette incarne à elle seule l’émancipation des femmes par le travail au cours de ces 50 dernières années. On lui a demandé de choisir jeune, 14 ans, entre la couture et la coiffure. Elle a pris le ciseau, mais est restée de mèche avec le tissu plutôt qu’avec le cheveu.
Son récit est un voyage au cœur de l’âge d’or de la mode française, mais aussi celui de l’incroyable métamorphose de toute une société.
Ce livre donne une vision assez claire de ce travail de précision, qu’est la Haute Couture, dès lors que l’on dépasse l’effet d’image et le buzz nécessaire aujourd’hui pour acquérir une notoriété.
Juste peut-être un regret, dans ce voyage, qui concerne les étapes d’itérations entre le dessin et la robe finale, qui auraient pu être un peu plus documentées. On citera en exergue cette phrase étonnante d’ YSL » Mon…Ma Colette je vous demandé un saucisson et vous m’avez fait un chef d’oeuvre » . Cela montre bien qu’au delà d’un crayonné, les professionnelles, chefs d’atelier, premières main, pouvaient se saisir de la forme et donnaient vie au modèle imaginé.
La vie d’atelier n’est pas que luxe et volupté. Certes on prend le Concorde pour faire faire des essayages à une clientèle haut de gamme. Mais ces séances peuvent durer 8 heures ! D’un autre coté, Il y a le poids d’une hiérachie très verticale, des ateliers d’une surface pas si grande que cela quand il faut déployer les mêtres de tissus d’une longue robe et un métier qui va beaucoup évoluer. Un chiffre en donne un aperçu clair. Jusqu’au début des années 50, il y avait 160 inscrits à la Chambre Syndicale de la Haute Couture. Au début des années 60, ce nombre atteignait à peine 20. Le Prêt à Porter avait pris son essort.
On retrouve dans ce témoignage de Madame Colette, des passages concernant la frénésie des défilés quand elle travaille avec Karl Lagerfeld chez Chanel. Elle explique qu’il lui ait arrivé de se présenter avec la dernière robe, juste quelques minutes avant ce défilé.
Cela me rappelle des propos échangés avec H de Givenchy lors d’une exposition à Paris et ou étaient présentes également des femmes qui avaient été premières mains chez Dior. Elles parlaient avec verve et enthousiasme du travail de couture effectué au dernier moment, directement dans les escaliers, au moment ou la mannequin devait s’élancer pour défiler.
C’est un livre d’ou on peut retenir les idées d’exigence, de précision, mais aussi ou on sent une pointe de nostagie par rapport à une époque révolue. C’est amusant d’entendre l’échos de la série Balenciaga et les propos de Saint Laurent qui dit dans ce livre que « la création et le marketing ne font pas bon ménage, cette époque n’est plus la notre« .
Inés de la Fressange est venue témoigner avec son naturel légendaire
Elle s’est levée du fond de la salle ou elle s’était installée, a pris avec aisance le micro qu’on lui a immédiatement tendu et avec son naturel légendaire et vérifié à cette occasion, a souligné la modestie de l’autrice qui a su faire un véritable parcours dans ce monde de la Haute Couture en complétant le témoignage de Colette Maciet, par le sien.
« Silhouette svelte, coupe à la garçonne désinvolte, sourire désarmant » , voila comment Vogue désigne Inès de La Fressange qui a indéniablement marqué l’histoire de la mode avec son charme mutin. Une description à laquelle on ne peut que souscrire.
Inés de la Fressange s’est par ailleurs pliée avec amabilité et sourire à la traditionnelle séance de dédicace, qui s’était créée spontanément en dehors du protocole prévu.