C’est à la fois une plongée dans l’histoire, la grande, celle qui montre l’évolution de notre monde et de nos modes de vie et dans celle des savoir-faire du monde textile, que nous propose Guénolée Milleret, avec son ouvrage intitulé « l’Atelier du Modéliste ».
Aujourd’hui on a souvent tendance à ne connaitre que les designers star, qui d’un dessin font une collection. Mais cela ne peut être aussi simple. Il y a autour d’eux toute une équipe qui va transformer l’idée initiale en vêtement.
Le modéliste est un peu dans la même zone d’ombre qu’un Stephen Jones, modiste (Il s’occupe des chapeaux, à ne pas confondre) présent sur la scène fashion depuis les années 80, qui travaille avec toutes les maisons de luxe et qui est bien moins médiatisé que les designers pour qui il travaille. Pourtant l’exposition au Palais Galliera qui lui est consacrée montre bien l’étendue de son art.

L’Atelier du Modéliste nous ouvre les portes d’un monde d’excellence que l’on a un peu tendance à ignorer.

Guénolée Milleret a voulu dresser le portrait du modéliste, acteur clé de la création vestimentaire. Ses racines ? À rechercher dans les ateliers tailleur et flou de la haute couture parisienne. Sa mission ? Exprimer un dessin en volume. Ses méthodes ? Coupe à plat et moulage. Ses outils ? Épingles, ciseaux et mannequin buste. Au XXe siècle, l’innovation est indissociable des gestes de Vionnet, Grès, Dior, Balenciaga, Saint Laurent ou encore Alaïa : tous de grands couturiers certes, mais éminents modélistes avant tout.

L’Atelier du modéliste

Une histoire de savoir-faire et de spécialiste

L’ouvrage richement documenté entre histoire, interviews et lexique fait la part belle à des rencontres avec des personnalités qui oeuvrent souvent dans l’ombre avec un talent impressionnant. L’auteure ouvre une à une les portes de leurs discrets ateliers à la rencontre de Jean-Marc Lespinet, Dorota Turowska-Vermelin, Daniel Fumaz puis Delphine Boissinot sans se priver du plaisir d’interviewer leurs proches collaborateurs, les « petites mains » de la haute couture. Des témoignages éclairants, savoureux et inspirants…
C’est l’opportunité de découvrir au revers d’un tombé parfait, l’artisan.e de ces sihouettes de rêve, qui apparait au cours de cette étude. Au gré des investigations de l’autrice se révèlent les différentes facettes de ce personnage, le modéliste, hier encore sur le devant de la Seine, aujourd’hui relégué en coulisse. On apprend au cours de la lecture que le dictionnaire Larousse de 1931 en donne la définition suivante : Celui, celle, qui crée des modèles (patron) dans la couture.

On parcours l’histoire avec une cartographie des maisons de confection à l’automne du XIX éme siècle et en croisant des personnages connus, le couturier d’origine britannique CF Worth , mais aussi J. Doucet, C.Dior, ou d’autres moins, mais qui font partie de cette chaine de compétences nécessaire. Déjà en 1885, la rubrique « Nouveauté confectionné pour Dame » compte 420 établissements de confection, dont 6 grands magasins, parmi lesquels certains noms nous parlent encore, comme « Au Bon Marché », la Samaritaine et « Au Printemps ».  
On suit la chaine de compétences qui associe le dessin, le modélisme et les couturières dans un secteur ou l’apprentissage devrait rester une activité essentielle afin d’assurer la transmission. Le modélisme ne peut fonctionner sans les petites mains et inversement. On comprend d’ailleurs les liens qui les attachent, car la maquette, résultat d’une coupe à plat et du moulage, que la personne en charge du modélisme conçoit, est la pierre angulaire de l’activité de Haute Couture.
C.Dior le rappel à juste titre: » la mode créée par le couturier est d’abord un prototype et comme tel coûteuse. Ensuite elle représente un trésor d’artisanat consciencieux, un triomphe de tour de main, une manière de chef-d’œuvre. Elle représente des centaines d’heures de travail.
On peut comprendre donc que la fabrication d’un vêtement Made in France a un coût, loin des productions stéréotypées et copiées (par l’IA) que nous propose la fast fashion. Cette science de la construction se rapproche d’un goût pour l’architecture. On retrouve la ligne et le goût de cette architecture à travers la passion pour la couture. Architecte de la mode, Vionnet le fut, Dior le sera à son tour et on n’oublie pas Alaïa. Dior expliquait: Etant couturier, je suis obligé de suivre des lois, des principes d’architecture, le tissu me ramène sans cesse. Il ajoutait: Une robe se construit nuance-t-il et elle se construit selon le sens des tissus. C’est le secret de la couture et c’est un secret qui dépend de la première loi architecturale, celle de l’obéissance à la pesanteur.
C’est vrai qu’il a commencé sa carrière de modéliste à Paris, auprès d’un couturier suisse, bien connu dans notre famille, qui était assez précis sur les détails et aimait simplifier.

L’Atelier du modéliste

Le livre qui associe période d’histoire et exemple de situations professionnelles tout à fait contemporaines, laisse une large place en fin d’ouvrage à un lexique. On peut y lire des extraits du Parfait Tailleur, avec plein de termes qui nous apprennent des tas de choses, qui peuvent sembler un peu désuet à l’heure de l’algorithme galopant, mais qui dénotent que cette activité à une plus-value certaine et une richesse qu’on ne soupçonne plus à notre époque.
Ainsi par exemple ; le contre-biais, le Cotillon (petite jupe courte), le Charivari (c’est un pantalon de dessus), le Paletoquet (c’était une jaquette de paysan).

L’Atelier du modéliste
L’Atelier du modéliste

 « La modernité n’est pas une rupture, mais le maillon contemporain de la longue chaîne de la tradition » affirmait Charlotte Perriand… Transmis de main en main, les savoir-faire forment un mille-feuille de temporalités. Explorant ce système sédimentaire, la collection Talents & Savoir-faire dans laquelle est publié l’Atelier du Modéliste, met en lumière, un maillon après l’autre, les artisans de la mode. Sa ligne éditoriale ? Plonger profondément dans le passé, revenir aux sources du savoir-faire pour mieux apprécier ses enjeux présents et futurs. C’est possible grâce au profil de l’autrice qui nous ouvre les portes de ce monde feutré ou on n’entend pas tomber une épingle par terre.
L’autrice de cet ouvrage, Guénolée Milleret, est ancienne responsable des archives documentaires de la maison Yves Saint Laurent et enseignante de l’histoire de la mode à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (Paris). Elle est aussi la fondatrice de l’iconothèque Images GuenoMiller, une banque d’images riche de 17 000 documents rares (gravures de mode, mobilier, vues d’intérieur et d’architecture des XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles). Elle a déjà publié plusieurs livres sur des sujets liés au monde de la mode, comme:

  • Histoire de la mode et de la cuisine : Voir et comprendre comment on vivait la mode et la cuisine à différentes époques.
  • La Cousette: Les Cousettes 4.0, nous montrent par leurs styles que la mode circulaire est une alternative crédible pour répondre aux enjeux qui nous attendent. 

Les livres se retrouvent souvent au pied du sapin en fin d’année. Pas de raison que le traineau du Père Noël ne transporte pas celui-ci.