C’est à cette question que de nombreux experts ont cherché a apporter des réponses lors des derniers mois de 2023 et au début de l’année 2024. C’était à l’occasion de la remise d’un nouveau rapport de l’UNESCO qui a été présenté à la presse en visio en octobre 2023, puis en physique à l’UNESCO à Paris en janvier 2024 que ce tour d’horizon a été fait. De la production des matières premières à l’éclatante création artistique, des savoir-faire traditionnels aux capacités de fabrication : l’Afrique a toutes les cartes en main pour devenir un leader mondial de la mode. Reste à affronter les difficultés, à la fois locales, un continent morcelé et mondiales, une économie qui rebat les cartes de la production textile et les nouveaux usages dans la confection de vêtements.
Plusieurs tables rondes ont eu lieu à l’occasion de ces rencontres avec des créateurs de renommée internationale, tel Imane Ayissi et des entrepreneurs africains du secteur, Ammar Kessab de la Banque Africaine de Développement, Megan Mc Astocker de Fashion Impact Fund accompagnés par Jina Luciani de Maison Mode Mediterranée et Thomas Delattre de l’IFM, qui ont débattu du rôle des créateurs africains en tant que moteur de l’écosystème de la mode et du développement.
Si 37 des 54 pays africains produisent du coton, ce continent n’est pas uniquement un important producteur de matières premières. Il possède des savoir-faire traditionnels et des techniques textiles uniques dont certaines sont protégées par l’UNESCO. Il est également le berceau de générations de créateurs de mode exceptionnels, comme en témoignent pas moins de trente « Fashion weeks » organisées chaque année en Afrique, dont celle de Lagos.
L’ Afrique est également un marché en plein essor, en partie grâce à son expansion démographique rapide et à la croissance des ventes en ligne. Chaque année, le continent exporte textiles, vêtements et chaussures pour une valeur de 15,5 milliards de dollars, et importe des produits de ces secteurs pour 23,1 milliards de dollars. Coté chaussures, j’avais apprécié la démarche des 2 jeunes entrepreneurs de l’afrique de l’Ouest qui avaient lancé Umoja (marque aujourd’hui disparue).
Ce rapport de l’UNESCO intitulé « Le secteur de la mode en Afrique : Tendances, défis et opportunités de croissance« , constitue la première cartographie d’ensemble consacrée à la production textile, aux accessoires, à l’artisanat, aux vêtements tant du prêt-à-porter que de la haute couture en Afrique. Il explique comment la mode contribue à la création d’emplois, à l’autonomisation des femmes et à la diversification économique sur le continent. Il formule également des recommandations concrètes sur les moyens d’assurer une croissance durable aux secteurs de la mode et du textile, de soutenir les nouveaux talents créatifs et les producteurs traditionnels, et d’encourager la fabrication et la conception éthiques des produits.
On comprend l’initiative de défendre les industries créatives et la mode en fait partie de manière légitime. On espère que dans ce domaine cette initiative n’intervienne pas un peu tard, alors qu’en Europe tout du moins, s’élève cette petite musique qui explique que nous avons déjà trop de vêtements. Une musique qui n’est apparemment pas trop audible du coté de la Chine.
Les différentes conférences qui se sont déroulées lors de ces événements de présentation rassemblaient des créateurs, des banquiers, des entrepreneurs et voulait à la fois démontrer les enjeux, mais aussi faire un point sur les opportunités et les difficultés auxquelles ce secteur doit faire face.
On constate que coté population, celle-ci devrait atteindre 1.7 milliard d’habitants en 2030, ce qui représente une cible intéressante. Mais, finalement un peu comme chez nous, le constat est fait que l’industrie en Afrique a disparu. Il faut donc relancer les filières locales notamment dans le tissage. Il faut arriver à monter plus de plateformes transversales. Il faut avoir comme objectif que les consommateurs africains achètent ce qui est fait par des africains. C’est un objectif qui est proche du raisonnement du Made in France que l’on se fait dans l’hexagone afin de faire vivre ses territoires et sortir d’une mondialisation désresponsabilisante.
Le constat montre par exemple que beaucoup d’usines locales ont disparu. Au Nigéria, il y avait 190 usines textiles dans les années 90. Elles ont fermés. Beaucoup d’usines ont été abandonnées en Afrique de l’ouest. Au Sénégal par exemple, le coton est importé.
D’ailleurs, un article du Monde de Septembre 2024 présente le fait de la réouverture d’une l’usine textile, Domitexka, comme preuve que le Sénégal tente de donner l’exemple pour relancer son industrie textile, en berne depuis les années 1980 et faire que ce pays maitrise sa mode en Afrique.
Des acteurs comme Birimian, coté financement et l’IFM, trés présente en Afrique, veulent favoriser la formation qui doit être repensée afin que la chaine de valeur soit en majorité en Afrique. Avec l’aide d’acteurs comme la BAD , le CANEX, souvent présent au Tranoï et la plateforme Fashionomics (apparement disparue ou en sommeil) .
Les consommateurs en Afrique , mais aussi en Europe, doivent aussi faire confiance à des créations qui sont authentiques, portées par un réel savoir-faire comme le prouve les exemples des 2 marques rencontrées au Tranoï en 2024 et présentées plus bas et bien plus riche que ce que nous montre un wax, banalisé par de nombreux acteurs industriels.
La politique n’est pas absente du débat loin s’en faut et si certains militent pour des raisonnements et des mécanismes transfontières, le constat sur le terrain montre encore des antagonismes entre l’Afrique francophone et anglophone.
Si ces facteurs, quand même plutôt structurels, semblent difficiles à faire bouger sans un effort sur du long terme, on peut s’appuyer pour enclencher cette révolution sur un dicton africain: « un peu de pluie chaque jour fera déborder la rivière« . Nous avons le colibri, ils ont la rivière, mais la conclusion est que chacun à son niveau peut faire un effort en pleine conscience.
L’UNESCO s’engage à soutenir les industries créatives en Afrique
L’engagement de l’Organisation pour le développement d’une économie créative dynamique en Afrique s’aligne sur les principes énoncés dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelle de l’UNESCO. Il a donné lieu à une série de rapports sur l’importance stratégique des industries culturelles et créatives en Afrique, notamment, un rapport sur le cinéma africain publié en 2021,L’industrie du film en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance. L’idée de ce Soft Power est déjà largement utilisée par les pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, notamment à travers le sport, tout comme par la Chine.
Quant on pense à la mode en Afrique, 2 marques rencontrées au Tranoï, l’une venant d’Ethiopie et l’autre du Ghana, montrent les richesses de ces territoires et de leurs savoir-faire.
Mafi Mafi, origine l’Ethiopie
Mafi Mafi est une marque éthiopienne fondée par une créatrice qui a démarré dès ses 18 ans et qui était présente à Paris lors du Tranoï en 2024. La créatrice Mahlet Afework s’est forgée dès ses 18 ans et à toujours voulu défendre les savoir-faire de son pays, ce qu’elle réussi m’a fois fort bien. Il fauut dire que sa mère, couturière, possédait une petite entreprise de broderie et de vente de somptueux textiles traditionnels.
Mafi Mafi, marque dont le nom est issu du surnom donné à la créatrice, produit ses modèles grâce à son propre atelier, sa boutique et son eshop. Les modèles sont plutôt féminins mais on y trouve également des pièces unisexes comme les manteaux par exemple. La marque ne souhaite pas participer à la course à la production et ne renouvelle pas ses collections de manière incessante, ce qui permet d’apprécier dans la durée ses créations contemporaines, faites en utilisant du coton éthiopien et des tissus tissés à la main par des artisans locaux pour créer ces pièces de luxe polyvalentes, portables et accessibles.
Boye-Doe, origine Ghana,
Quand on pense Ghana et textile, on a d’autres images en tête que celle d’un fashion designer. On se souvient des images des décharges et des africaines et africains qui se brisent le cou à porter les ballots de vêtements en provenance des pays d’Europe, quand ce ne sont pas les plages qui sont souillées.
Mais au delà de la bonne conscience occidentale, sur place, la mode peut être un moyen de prendre son destin en main, par le principe de la création et d’une production maitrisée. Les pays africains possèdent de nombreux savoir-faire et certains créateurs peuvent rebondir sur cet afflux de vêtements, pas toujours désirés, pour en tirer une quintessence créative sous-estimée.
David Kusi Boye-Doe, croisé à l’occasion de Tranoï ,en début dde 2024, est l’un des créateurs de mode ghanéens les plus en vue. Il veut construire une marque contemporaine éthique et durable, ancrée dans la déconstruction et la reconstruction. Sa collection de jeans en denim est une preuve qu’une mode écologique innovante peut être esthétique et toute ses actions, utiliser l’upcycling et les stocks de tissus dormants, montrent l’importance du recyclage des matériaux dans la mode du XXIe siècle. Ses créations ne s’arrêtent pas à cette conception du réemploi et proposent des modèles basés sur les savoir-faire locaux.