Quand on aborde la mode par le coté savoir-faire et technique, on prend conscience que cette compétence technique n’a pas de frontière. Bien sûr les designers mélangent leurs cultures avec celles des pays ou ils font leurs études ou une partie de leurs parcours. Pour cela, la France avec l’Esmod ou Lisaa, ou l’Angleterre avec Central St Martins, sont des exemples de cette émulsion qui associe de manière heureuse des parcours d’étudiants avec des cultures aux origines très diverses. Mais savoir associer des perles, tisser un motif, composer une broderie n’est pas de l’Avenue Montaigne, de Savile Road, de Brooklyn. C’est un savoir-faire de la main, fait par des artisans ou des expertes tout autour du monde, comme Sonam Khetan et l’Inde nous le démontre.
La mode de Sonam Khetan, nous apprend à composer avec le monde actuel et les échéances climatiques
C’est grâce à Sonam Khetan, une jolie découverte lors de la dernière fashion week parisienne (2023), que l’on découvre que la mode premium peut adopter une démarche éco-responsable. La designer, originaire de cette Inde des maharadjas, qui a suivi un cursus en France et en Angleterre, a lancé sa marque de luxe pour femme en 2020. Ses collections sont le résultat d’une réflexion engagée sur notre monde actuel. Elle est partisanne d’un système de production raisonné, les modèles sont entièrement réalisés à la main en Inde et elle n’oublie pas le volet social. Certains modèles au travail particulier portent le nom des personnes ayant participé à leurs fabrications.
Comme l’explique la jeune designer » Je m’efforce de créer des pièces intemporelles qui transcendent les possibilités de port saisonnier des vêtements. Je m’inspire des cultures et de l’artisanat ancien, ainsi que de l’art contemporain. Je consacre beaucoup de temps à la recherche de chaque collection, en étudiant les résultats scientifiques et en lisant des publications spécialisées. Les questions sociales et environnementales occupent une place très importante dans chacune de mes collections. «
Chacune de ses collections est en effet inspirée de réflexions liées au sujet de l’écologie, des phénomènes naturels qu’il est essentiel de protéger. Il s’agit d’être attentif à la beauté du monde naturel et de faire en sorte que la mode soit aussi une sorte de visualisation de la profonde interconnexion entre l’homme et la nature.
Une collection FW23 qui s’inspire des aléas du climat
La collection Automne/Hiver 2023, qui était présentée en avant première chez Heureux Les Curieux (ou s’est installée quelques semaines plus tard Commode Commune) s’inspire du célèbre “fog” de San Francisco et de sa potentielle disparition.
Ainsi, si le fog et ses nuages disparaissent, comment le poète va t’il faire porter son message d’amour ?
Le nom de la nouvelle collection automne-hiver 2023 s’appelle « Le Nuage Messager ». Il vient d’un long poème écrit en l’an 400 par le poète sanskrit Kalidasa. Il raconte l’histoire d’un demi-dieu qui demande à un nuage de porter un message à sa bien-aimée. Ce poème est issu du passé et il se confronte à une réalité écologique plus ardue, telle qu’on l’entrevoit aujourd’hui. Ainsi, l’éventuelle disparition de ce célèbre fog de San Francisco, vrai messager, a servi de socle inspirationnel pour la nouvelle collection de Sonam Khetan.
Ses vêtements veulent racontent ce qui se passe au-dessus de nos têtes et autour de nous, le brouillard, la pluie, la brune, la neige, le vent, les nuages, mais aussi les graines transportées par les vents et les lucioles qui ont besoin d’humidité pour exister comme beaucoup d’autres espèces. C’est ce juste équilibre qu’il faut s’exercer à appliquer entre défense du style et protection de notre environnement.
La nature est une source inépuisable d’inspiration
Cette collection veut montrer que la nature, comme le corps humain, doit être protégée. La ligne, le design, les motifs s’inspirent de cette recherche d’équilibre, mais l’inspiration s’appuie sur une véritable recherche scientifique qui sert de base à ce travail de création. Ainsi dans la photo ci dessus, la partie gauche (noir et blanc) est une image professionnelle captée dans le ciel qui montre une carte des vents. Cette donnée devient l’inspiration pour le motif de broderie de la robe bleue sur la droite de la photo.
Une démarche éco-responsable en Inde, qui en remontre à bien des marques européennes
La poésie sans pragmatisme serait une démarche trop illusoire. La jeune designer qui est passée chez Balmain lors de son séjour en France, sait raisonner de manière globale et associer à sa réflexion une volonté de traiter les problématiques de production avec une démarche éco-responsable bien ancrée.
Un soin tout particulier est apporté pour la réalisation de ses collections. “Nous n’utilisons que des teintures naturelles pour nos tissus, en récupérant les fleurs dans les grands temples de Mumbai. Nos vêtements sont fabriqués sans produits chimiques. Nous suivons les principes de la médecine ayurvédique sur les propriétés des plantes qui entrent dans chaque collection: rose, hibiscus, indigo, garance, fleurs de souci, etc. Pour les teintures et le tissage, nous travaillons avec des ONG qui aident des communautés en situation de fragilité, afin de les aider à être autonomes.”
L’ histoire en Asie indique que, jadis, les Samouraïs japonais avaient comme coutume de porter des sous-vêtements conçus de cette manière sous leurs armures, pour leur donner force et vitalité.
Par ailleurs, sans revendiquer un quelconque discours politique, l’entreprise a repris à son compte la démarche de Gandhi lorsqu’il a revendiqué de développer une filature et un tissage local, pour ne pas dépendre des anglais. La jeune designer a repris l’idée et ses vêtements sont développés en soie et en coton khadi, méthode qui consiste à filer et tisser le tissu sur des machines manuelles qui fonctionnent donc sans utiliser d’électricité, utilisables donc dans tout village.
On constate que sur un certain volet sociologique, il n’y a pas qu’en Europe que le poids de la tradition ancestrale pèse un peu plus sur les femmes que sur les hommes. La répartition des taches dans ce pays montre que les rôles sont bien définis et pour la réalisation de ces matières premières, Khadi ou pas, ce sont les femmes qui filent et les hommes qui tissent.
La broderie et le savoir-faire associé sont des valeurs reconnues en Inde. Sonam Khetan propose ainsi dans sa collection des modèles qui montrent le savoir-faire de haut niveau de ces mains expertes. La robe présentée dans sa collection Fall/Winter 23 a nécessité 700 heures de travail, car une fois le dessin fait et la fleur brodée réalisée, il a fallu la reproduire en de nombreux exemplaires. La designer peut mener à bien des projets aussi sophistiqués grâce à son quipe qui peut atteindre jusqu’à 55 personnes.
Cette marque, basée à Paris et à New Delhi, est une marque de prêt-à-porter féminin contemporain, élégant et avant-gardiste, fabriquée à la main dans son studio installé en Inde, ce qui lui permet de travailler à proximité des fabricants de textiles locaux et du savoir-faire indien.
Un signe de l’intèrêt d’une telle démarche et du talent de Sonam Khetan, était la présence, le jour ou j’ai eu le plaisir de découvrir sa marque, de personnes de l’ancien réputé concept-store Colette, avec notamment Guillaume S.
On remarquera aussi que Dior, a choisi l’Inde pour y faire son défilé de la collection automne 2023. Ce voyage sur la route de ce pays est du aux relations que la maison de couture de l’Avenue Montaigne a tissées depuis longtemps avec le pays de Gandhi et à ses savoir-faire d’excellence.