Ils avaient tous les deux, une passion pour l’architecture. Elle, c’est Madame Grès, « Je voulais être sculpteur. Pour moi c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre » disais cette grande dame de la couture avec un étrange usage du terme au masculin. Lui c’est Azzedine Alaïa, « Je voulais faire de la sculpture quand j’étais à l’école des Beaux Arts. Cela viens de là, mon intérêt pour les courbes du corps. »
Ces deux personnalités du monde la couture, ou haute couture, se retrouvent pour nous emmener faire une ballade dans le paradis de l’élégance, à l’occasion de l’exposition Azzedine Alaïa /Madame Grès à la Fondation Azzedine Alaïa ( 18 rue de la verrerie Paris 04 – jusqu’au 11/02/2024).
Dans cet espace empreint de calme, cette très belle cohabitation de 2 artistes travailleurs font de la robe et du drapé, 2 éléments d’excellence. Pas de baguette magique, mais quelques coups de ciseaux judicieux et si les coutures sont invisibles, la perfection elle, saute aux yeux.
La mise en parallèle des créations des deux artisans, un terme qu’ils appréciaient, mais plutôt artistes à nos yeux, est parfaitement réussie pour nous expliquer ce chemin de l’esthétique dans la mode. Cette ambition de la sculture partagée ne fut pas corrompue par les métiers de la couture auxquels ils se consacrèrent avec tant de singularité et de succès. Au contraire, elle magnifia pour l’une l’exercice du drapé et, pour le second, celui de la coupe, faisant d’eux des fils à plomb de l’histoire de la mode. Si un petit malin prenait le plaisir de mélanger les cartels d’informations de chaque modèle et que l’on demandait à tout un chacun de les réatribuer à chaque créateur.trice, pas certain que même les plus habitués des fashion week, fassent un sans faute ;).
Si comme nous l’explique le commisaire de l’exposition Olivier Saillart, « rien n’atteste que les deux couturiers se soient croisés, à n’en point douter, leurs créations se sont rencontrées« . Apôtres d’un certain dépouillement, Madame Grès et Azzedine Alaïa dissimulent sous une apparente simplicité une conception d’une complexité parfois extrême. Le tissu gouverna leurs dessins et leurs choix, que ce fut d’un volume de robe à couper ou de couleurs monochromes noir intense et blanc plâtre en favoris, témoignant d’un même esprit. Les drapés érigés en art total par Grès depuis les années 1930 s’incarnent dans les robes longues, fluides et plissées d’Azzedine Alaïa. Le jersey adoubé par la première se traduit en maille et en matériaux souples chez le second. L’ exigence des proportions, la rigueur de la coupe des modèles pour le soir comme pour le jour les unissent.
L’exigence d’un travail parfait est la plus belle valorisation du savoir-faire manuel qu’est la couture
Madame Grès qui est une passion pour Azzedine Alaïa, une autre exposition lui a été consacrée récemment aux Etats Unis, grâce au fabuleux fond de la Fondation Alaïa, se jugeait couturière. « L’expression « faire de la haute couture » me surprendra toujours: je fais de la couture… je ne suis qu’une bonne couturière. La haute couture, c’est cela pour moi… être un artisan qui a appris son métier à fond. Voyez-vous, du travail bien fait naît l’imagination : tous les métiers manuels stimulent l’esprit… Oui, je fais tout moi-même… Je prépare ma toile, je l’épingle… ensuite je taille, je coupe, je sculpte le tissu. »
L’exigence de la coupe et la recherche de la couture invisible forment une volonté qui les réunit et qui les consacrèrent. Seul dans son studio atelier, des nuits durant, Azzedine Alaïa bâtissait de ses mains des vestes et des robes selon un processus similaire à celui que s’imposait Grès. << De tous les termes qui servent à désigner notre profession et notre activité, celui de couturier est celui que je préfère », confiait ce dernier artisan éclairé de sa génération.
Le tissu est travaillé avec une telle précision d’orfèvre qu’il donne l’impression de muter en une matière qui épouse parfaitement le corps féminin, tout en douceur et en équilibre.
Cette exposition réunit pour la première fois des œuvres de Madame Grès et d’Azzedine Alaia. Partageant un principe formel, des accords de tissus ou de couleurs, les créations des deux couturiers convient le visiteur à une leçon au-delà des modes. Intemporels pour l’une, hors du temps pour l’autre, les soixante modèles présentés font dialoguer ces deux obstinés solitaires devenus sculpteurs de robes.
Les créations de Madame Grès semblent moulées quand elles ne sont pas drapées. Ne tolérant aucun ornement, elles puisent leur fantaisie dans leur dimension sculpturale, comme l’illustre une robe haute couture du printemps-été 1952. Azzedine Alaïa privilégie les surfaces monochromes étirées en robe, ayant pour seule distraction formelle le volume ou les plis, tel que le montre un modèle haute couture de l’automne-hiver 2014.
Le travail est superbe, l’ambiance de l’endroit permet comme une sorte de méditation au profit de l’excellence, sur ce qu’est ( était ?) la Haute Couture et comment on peut respecter le corps féminin, par des coupes sublimes, en prenant de temps d’exprimer un savoir-faire, manuel, qui dans ce cas, est plutôt un art.
Cet art, est exprimé de manière magistrale, par la Fondation Azzedine Alaïa, qui possède un fond incroyable de 20000 modèles (dont quelques uns proviennent de la maison de couture familiale). Cela permet à la Fondation de pouvoir proposer en parralèle une autre exposition au Palais Galliera avec 140 modèles, qui couvre une partie historique importante de la Haute Couture et nous emmène aussi au dela de la mode. Un beau voyage qu’on avait pu faire il y a 10 ans avec cette autre exposition, sans compter celles dédiées à la photo, avec Arthur Elgort, ou le dessin avec Claude Parent, ou encore avec le travail surprenant fait avec Tati.