La Fashion Révolution Week de 2023 s’est déroulée la semaine du 24 au 30 avril. Ce fut l’occasion d’entendre avec raison ce lugubre rappel qui sonne comme un toxcin en mémoire au tragique événement du Rana Plaza. Ce nom est un peu le Titanic de la mode, un batiment qui accueillait un grand nombre d’ateliers textiles, qui travaillaient pour des marques occidentales et américaines et qui s’est effrondré, faisant plus de 1100 morts et plus de 2500 blessés.
Les fissures apparues la veille dans la structure ont été volontairement négligées par les responsables qui devaient répondre aux exigences des donneurs d’ordre.
10 ans après le drame, la Fashion Revolution Week brosse un panorama qui n’est pas le plus joyeux.
On va dire qu’en fonction des informations échangées ce jour, le lieu de la conférence et des interventions était bien choisi. Elles se déroulaient au Forum des Images, un endroit au décor particulièrement sombre et situé au 3 ème sous-sol, endroit souterrain qui faisait penser à d’autres ateliers que ceux du Bangladesh, des ateliers clandestins situés eux aussi en sous-sol, au Maroc, ou de mortelles inondations ont eu lieu en 2021.
On a eu droit à des interventions qui étaient très claires sur les enjeux de la mode et du textile en général, avec de nombreux chiffres et indices évoqués lors de cette première matinée (seule partie à laquelle j’ai assisté).
Les sujets sur les tables étaient:
- Le temps (les choses ne changent pas assez vite),
- La valorisation des salaires des travailleurs,
- L’impact climatique de la production de masse
- La profusion de produits toxiques contenus dans nos vêtements.
- Les avancées de la relocalisation de la production
Les choses ne changent pas assez vite! Le Bangladesh, lieu de la catastrophe du Rana Plaza, reste un territoire de production de textile. 80 % des exportations de ce pays sont des produits textile. Le plus étonnant, c’est qu’à priori tels que les chiffres nous sont présentés, la production textile a augmenté de plus de 30 % depuis 2022. Cela représente une valorisation de plus de 40 milliards de dollars par an, générés par une armée de plus de 4000 usines/ateliers.
Donc, nous consommateurs d’Occident, nous n’avons pas trop changé nos habitudes et nous continuons tranquillement à consommer nos marques favorites (et peu chères) produites dans cette partie du monde.
Le poids social est important sur les femmes ! Au sein de cet essaim de 4000 usines, on constate une part de la population féminine très importante parmi tous les ouvriers (en fait donc, des ouvrières). Cette population fait un travail qui n’exige que peu de compétences et se retrouve un peu trop facilement corvéable à merci et avec des salaires trop bas pour vivre correctement. On apprend aussi grâce à une autre statistique étonnante (et c’est Oxfam qui a fourni ce chiffre ) que 60 millions d’enfants seraient repartis au travail depuis le Covid dans ces usines de textile, alors qu’effectivement on souhaite éviter ce genre de situation ou on fait rimer mineur et travailleur.
Les intervenants de cette conférence, Action Aid, Les Amis de la Terre, Fashion Révolution Fr, Max Havelaar Fr, ont dressé un tableau global, qui n’était pas circonscrit qu’à la situation au Bangladesh. Il y a des soucis également en Inde ou au Maroc, territoires de production et quand on évoque cette image du Titanic de la mode, on a un peu le sentiment que l’orchestre (occidental) continue tranquillement à jouer sa sérénade pour une consommation en Do Ré majeur.
Si le consommateur doit changer son comportement (on a évoqué lors de cette matinée le chiffre de 2 générations pour faire infléchir les habitudes de vies), il reste du chemin à faire, ainsi qu’à agir sur le plan de la régulation, un autre moyen d’imposer des changements plus rapides.
Les différents intervenants ont argumenté sur l’importance de la lutte car le textile a un impact sur de nombreux critères. Cette activité impacte à la fois l’environnement bien sûr, qui est un petit peu spontanément ce que à quoi on pense en premier, mais également sur la lutte Nord-Sud avec cette décomposition du travail qui met les consommateurs dans une zone des pays plutôt développés et les producteurs dans une zone des pays plutôt moins développés, avec comme corollaire des revenus du travail qui ne sont pas équivalents. Il y a également la question des droits sociaux et des revenus proposés à cette population féminine qui est nombreuse à constater les difficultés à se faire rémunérer décemment et à subir des pressions fortes sur le lieu de travail.
On a entendu ce jour des chiffres qui paraissent effectivement tout à fait effrayant en terme de quantité de réferences mises à disposition des consommateurs. On sait qu’actuellement par exemple les rois de la fast-fashion qu’on connait, comme Zara, produisent 5000 à 6000 nouvelles références par an. Mais Shein est passé à une autre échelle et en affiche 10000 par jour. Ce chiffre trouve sa réalité dans le suivi fait par les Amis de la Terre qui avec des outils technologiques ont effectivement été scroller le web et ont constaté que d’une journée à l’autre il y avait 10000 nouvelles références.
Audrey Millet nous a fait le décompte des produits toxiques présent dans un vêtement et c’est impressionnant !
La consommation de produit textile, introduit un nouvel aspect et pas des moindres. Celui de la santé publique. La chercheuse Audrey Millet à travaillé avec une députée Ecologique (Saskia Bricmont) sur la présence de produits toxiques présents dans les tissus dont nous aimons nous habiller.
Le nombre évoqué est impressionnant, on parle de 8000 produits chimiques.
Ce comptage est fait en tenant compte de toute la chaîne de valeur. C’est-à-dire en partant de la culture de la plante, puis les étapes de traitement du textile, l’emballage, le stockage et même on peut y ajouter, le retraitement, si jamais ces textiles se retrouvent dans les circuits de recyclage.
Le problème est de taille XXL ,car on comptabilise 125 milliards d’€ de textiles qui sont importés en Europe chaque année et la part des habits en représente à peu près 85%. Les chiffres des dernières études communiqués lors de cette matinée indiquent que 70 % des rivières en Chine sont polluées, que les PFC s’accumulent dans le corps, avec une présence excessive de particules très fines de microplastique. Des tests faits en Italie révèlent des résultats particulièrement impressionnants. Des médecins chercheurs ont découvert que certains fœtus et certains utérus féminins avaient pris des colorations étranges dûes à la présence de ces microplastiques dans le corps humain.
Un autre phénomène peut faire sourire même si on n’est pas dans un épisode de la série « The Stranger Things » ou un film de vampire mais certaines personnes qui travaillent sur le corps d’un mort (on les appelle les thanatopracteurs) ont constaté que les cimetières ne se vidaient plus car en fait les cadavres sont enterrés dans des vêtements en polyester. Là où la nature reprenait avant sa place et bien désormais, voilà qu’il reste des vestiges humains qui risquent de perdurer plus longtemps que la pierre tombale qui les a accueilli.
Audrey Millet est une chercheuse bien connue de tous ceux qui suivent la mode. Elle vient toujours avec un dossier argumenté et ses cheveux couleur rose pour nous révéler un monde qui lui n’est pas du tout de cette même couleur, mais plutôt assez sombre surtout quand on parle de ce qui pourrait être un prochain scandale sanitaire qu’est la toxicologie des vêtements que nous portons.
Ce débat risque de prendre de l’ampleur dans le futur. La situation nécessite d’imaginer qu’il y ait des actions plus fortes par rapport à tout ce qui concerne la santé publique. Sans rentrer dans les détails juridiques, il faut savoir qu’il y a déjà des lois comme la loi Reach qui forme une bonne base (loi initiée par la Californie). Mais il faut continuer à travailler pour les renforcer car derrière ce terme commun de Reach, il y a des niveaux d’exigences différents suivant les pays.
Il faut intégrer dans les discussions législatives le fait de défendre et protéger un bien commun, dans lequel sont compris, notre corps, la santé, l’eau, l’air et que ces élements doivent être au centre des discussions.
Relocaliser, un bon point pour le textile
Les points positifs même s’il ne sont pas assez nombreux , doivent être soulignés. C’est ce qui montre que la direction est bonne, même si le chemin à parcourir reste encore long.
Des accords ont été signés par des entreprises pour une meilleure considération des conditions de travail des ouvrières. Mais certaines entreprises ne veulent pas en entendre parler, ce qui ressort lors de messages sur les réseaux sociaux, mis en avant par des organisations.
La relocalisation est à mettre au crédit du textile, car comme l’a expliqué Jérôme Cuny, le textile est un des secteurs qui joue les pionners parmi les secteurs qui rapatrient des postes de travail en Europe et en France. C’est une bonne chose car certaines régions de France avaient une forte histoire liée au textile comme le Nord bien sûr ou la région lyonnaise.
Parmi les acteurs les plus connus, on retrouve celui qui a remis la relocalisation sur son céan, Le Slip Français, qui avait fait l’usine du futur au dernier Salon du Made in France ou encore 1083 qui a lancé récemment son jean fait intégralement en France. On peut citer également DAO, un des premiers à produire un denim en lin sur notre territoire. C’est une tendance à encourager à la fois quand on est consommateur, c’est-à-dire qu’il faut choisir ces produits, plutôt que ceux qui sont importés, même s’ il faut aussi accepter que cette tendance à la relocalisation ne soit pas trop « pure » pour ne bloquer la machine. Cette idée qui a été évoquée par Jérôme Cuny me semble intéressante, car il vaut mieux prolonger les efforts d’une tendance, plutôt que d’être jusqu’au-boutiste avec le risque dès le départ de casser le système.
Le Lin était aussi au coeur de ce débat avec la représentante de l’Alliance du Lin et du Chanvre Européen. On connaît les atouts de cette fibre qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau ni d’intrants. La filière traite elle aussi le sujet de la certification mais de manière plus globale. Elle ne s’arrête pas aux frontières de l’hexagone, mais travaille pour avoir un label européen de l’agriculture au produit fini, afin de valoriser une fibre qui est adoptée par le monde de la mode.
La filière veut gérer des assemblages identifiés par une qualité homogène dans toute l’Europe. Si cette fibre est produite largement dans le Nord de la France, on ne va pas tarder à en trouver en Bretagne qui elle aussi l’exploitait il y a de nombreuses années. En Europe, la production de lin et chanvre a augmenté de plus de 130 % entre 2010 et 2020, mais si la culture est bien de chez nous, la filature et la production se font encore le plus souvent à l’étranger, car le parc machine est plutôt obsolète ou inexistant. En parallèle des acteurs chinois se révèlent très actifs en Afrique.
C’est un fil qui nécessite un personnel plus qualifié, des profils que l’on rencontre auprès de 3 exemples de filatures qui mettent en exergue les premiers succés français et qui demandent à être accompagnés. Emmanuel Lang en Alsace, Safilin qui est en France et en Pologne et French Filature qui est une coopérative agricole française en Normandie.
La relocalisation est une démarche qui prend le contre-pied d’une réflexion post-industrielle des années 70 sur laquelle on est entrain de revenir aujourd’hui. Le nom d’un ancien Président de la République en a pris un peu pour son grade lors des interventions, par rapport à cette idée de répartition du monde entre territoire de production et territoire de consommation.
Mais ce changement de paradigme doit aussi aller de pair avec une réflexion plus poussée sur d’autres points.
La relocalisation doit aussi, au delà de l’étape de production, embarquer tous les acteurs qui travaillent à la collecte des vêtements.
- Il faut que la mode devienne plus circulaire et surtout plus régénérative
- Il faut continuer à travailler pour que les labels qui aujourd’hui ne sont qu’une action déclarative, deviennent des vecteurs de confiance pour orienter le consommateur et ses choix vers des produits qui intègrent une valeur ajoutée en France la plus élevée possible.
En terme de consommation les chiffres évoqués sont colossaux puisqu’on comptabilise 150 milliards de vêtements vendus dans le monde chaque année et qu’on considère qu’en France par exemple la statistique tourne autour de 44 vêtements par habitant et par an ce qui laisse quand même largement de quoi se vêtir.
Le plus étonnant, est que la production n’a pas diminué et qu’aujourd’hui si on arrétait toute production de vêtements, cela ne serait pas un trop un souci, coté quantité, car on considère qu’on a suffisamment de stock pour les deux prochaines générations.
Par ailleurs ces stocks et cette consommation, génèrent aussi la création de circuits de recyclage à l’étranger qui font que certaines terres de d’Afrique, Kenya, Ghana ou d’Amérique du Sud, comme le Chili deviennent des vrais dépotoirs.
La ville de Paris engagée aussi, malgré son peu de surfaces classées zone industrielle
Un représentant de la Mairie de Paris intervenait se matin là. Il s’agissait de Florent Letissier qui est revenu sur le principe qu’il fallait oublier la théorie des avantages économiques amenant cette spécialisation des pays entre production et consommation et qu’il faut travailler à ramener des activités de production sur nos territoires.
Mais il faut en parallèle revaloriser ces métiers et travailler plutôt au niveau de la région Ile de France, car la ville de Paris n’est pas la mieux placée pour trouver des zones industrielles entre le Palais Royal, la Porte d’Italie ou celle de la Chapelle.
Il faut aussi également recréer des filières et pour cela, il soulignait la création récente du Plateau Fertile dans le 13 ème arrondissement qui est effectivement installé depuis le début de l’année et qui permet de travailler et de valoriser toutes les activités liées au textile.
Une bibliothèque pour mieux comprendre l’histoire de la mode et ses enjeux
Cette conférence de Fashion Révolution, permettait de découvrir une petite bibliothèque pertinente, liée aux sujets du jour avec des livres à découvrir, accompagnés de séances de dédicaces de leurs auteurs/autrices.
- Le Woke Washing d’Audrey Millet,
- le Relocaliser de Jérôme Cuny
- Le Fashion de Catherine Dauriac
- La découverte de la Cousette du 18ème siècle qui se trouvait être elle, déjà une experte de l’upcycling, proposée par Guénolée Milleret
- Une ouvrage de la journaliste Manon Paulic, pour expliquer la mode aux enfants, car là aussi les consommateurs de demain sont ceux qui aujourd’hui n’ont peut-être pas encore de carte bancaire dans la poche mais qui peuvent être prescripteur auprès de leurs parents et peuvent influer sur les choix de consommation de demain.
- Un très pédagogique numéro du journal Le 1 pour en savoir un peu plus sur le monde du textile.
Pour en savoir plus sur la Fashion Revolution et continuer à agir !
Voila quelques sources d’informations complémentaires qui donnent une partie de la couverture de cette Fashion Revolution Week.
N’hésitez pas également à signer la pétition pour exiger un salaire décent pour tous ceux qui vous font votre garde-robe !
Vous scannez le QR code sur la photo ci dessous et c’est parti !
Complétez vos connaissances avec ces quelques autres reportages ou articles qui ont été publiés à l’occasion de cette Fashion Revolution Week
Arte
- Radio France Podcast : Ecouter
- Le Nouvel Obs : Lire (paywall)
- Le Monde : Lire (paywall)
- Le Midi Libre : Lire
- France 24 : Regarder
- BOF : Lire
- Fashion United : Lire
- Fashion Network : Lire
- Euronews : Lire
Le point de vue de Matteo.ward exprimé sur Instagram
Mais aussi, la présentation des actions qui sont initiées du coté de Genève (Suisse), par la chercheuse Katia Dayan Vladimirova. Le rapport est accessible sur le site de l’UNIGE.
Une matinée instructive qui a laissé la place à une semaine importante, car si on peut se poser des questions par rapport à notre comportement vis à vis de la mode et de sa consommation, on peut aisément transposer ces réflexions à d’autres domaines, comme celui de l’agriculture par exemple.
Il faut donc continuer à suivre ces guetteurs de tendances, député.e, association, ONG, chercheur.e, mais aussi les jeunes créateurs/créatrices…. afin de prendre conscience des changements de comportement que l’on peut faire sans pour autant bouleverser notre vie ou estimer qu’elle régresse.
On peut réfléchir à acheter différemment, à utiliser nos vêtements différemment, à recycler différemment, à ne pas jeter, à transformer et bien sûr à donner à des associations qui peuvent les transmettre à des gens qui en ont encore plus besoin que nous.